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Libération
Interview

Affaire de Céline et Alexandre, devenus brutalement sans papiers : «Pourquoi la justice, saturée, se lance-t-elle dans ce genre de démarches?»

L’historien et politologue Patrick Weil, spécialiste du droit des immigrés, a réagi à la parution de notre récit autour de Céline et Alexandre, deux Français nés à Madagascar dont la nationalité française a été brutalement retirée. Il a déjà eu connaissance de cas similaires et interroge le zèle de la justice française.
Alexandre et Céline, à Paris le 4 avril. Le frère et la sœur bataillent depuis des années pour que la justice et l'administration françaises leur rendent leur nationalité française, retirée à cause d'une erreur administrative. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 4 juin 2024 à 10h47

A la suite de notre article, où l’on raconte la vie de Céline et Alexandre, Français nés à Madagascar, à qui la justice française a retiré brutalement leurs papiers à cause d’une d’une erreur dans leurs actes de naissance, nous avons reçu quelques messages. Notamment de personnes qui se retrouvent dans la même situation. Mais aussi de Patrick Weil : historien, politologue et directeur de recherche au CNRS. Il s’est étonné de la situation de Céline et Alexandre, mais il ne la découvre pas. Patrick Weil a déjà eu vent de cas similaires. Le spécialiste du droit des immigrés, qui a publié Qu’est ce qu’un Français (Grasset, 2022), explique à Libé comment faire pour régler au plus vite ces cas face à la justice.

Qu’est-ce qui vous a surpris dans l’histoire de Céline et Alexandre ?

J’ai bien lu votre article concernant le frère et la sœur, nés à Madagascar de parents français, qui ont perdu leur nationalité à cause d’une possible erreur dans leurs actes de naissance. Leur avocate a entrepris une démarche pour les faire reconnaître mais il y a une autre procédure qu’elle aurait pu activer : la réclamation de leur nationalité française par déclaration d’état.

C’est-à-dire ?

Vous pouvez la réclamer par déclaration souscrite au tribunal d’instance de votre domicile si vous avez joui, d’une façon constante de la possession d’état de Français pendant les dix années précédant votre déclaration. Concrètement : si pendant dix ans au moins, l’administration vous a considéré comme Français en vous donnant un passeport, une carte d’identité, une carte d’électeur, si vous vous pensiez Français et votre entourage le pensait aussi, alors vous êtes Français par possession d’Etat.

Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Après remise de votre dossier avec tous ces éléments de preuve et de témoignages, il est examiné par un greffier qui aura un délai de six mois pour accepter ou non votre déclaration. C’est ce que doivent faire tous ceux qui se retrouvent dans la même situation que ce frère et cette sœur, à condition d’agir dans un délai raisonnable et de ne pas avoir commis de délit durant les dernières années.

C’est dans la loi ?

Oui. L’article 21-13 du code civil. Je cite : «Peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants, les personnes qui ont joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration.»

Mais cela soulève une question : pourquoi, la justice, alors qu’elle est saturée, se lance-t-elle dans ce genre de démarche ? Ces personnes ont toujours été reconnues comme Françaises. Tout à coup, la justice les les stresse, déstabilise leur situation en leur faisant craindre l’apatride. Une galère sans nom, alors que l’administration sait qu’à la fin, ils pourront retrouver leur nationalité française.