La casserole aura décidément été le symbole de la présidence Macron. Après celles utilisées comme des tambourins aux fenêtres pour réclamer des moyens pour l’hôpital public au moment du Covid, après les concerts pour protester contre la réforme des retraites, voilà que les chefs cuisiniers sont appelés à descendre dans la rue armés de leurs casseroles, dimanche 21 janvier, à l’occasion de la manifestation contre la loi immigration, adoptée par le Parlement en décembre. Dans une profession peu réputée pour se mêler de politique, la chose est assez rare pour être soulignée. «Bien sûr que j’irai, témoigne Alessandra Montagne, cheffe de Nosso et de la cave à manger Tempero dans le XIIIe arrondissement parisien. Ce qui se passe, c’est terrible. J’adore ce pays qui est devenu le mien [elle est née au Brésil, ndlr], dont j’ai pris la nationalité. J’accomplis mes devoirs de citoyenne et je ne râle pas. Mais cette loi me choque. Elle durcit la venue et la régularisation des gens qui travaillent. Dans ces conditions, moi qui suis depuis vingt-quatre ans en France, je n’aurais jamais pu m’y installer. Or, ici j’ai créé des emplois et participé, via les impôts, à la société.»
«On ne peut pas rester dans l’entre-soi»
A l’instar de plusieurs centaines d’autres chefs plus ou moins médiatiques (les étoilés Olivier Roellinger, Nadia Sammut, Michel Bras, Julia Sedefdjian et Mauro Colagreco, Chloé Charles, Manon Fleury…), Alessandra Montagne a signé le manifeste du collectif «En cuisine contre la loi raciste». Ce dernier regroupe des chefs et des associations engagées pour une gastronomie durable, écologique ou encore pour l’intégration des réfugiés par la cuisine, comme le Recho, la communauté Ecotable ou encore Refugee Food. «A table, comme en cuisine, chacun·e a sa place en France. La cuisine française, à travers les siècles, est le délicieux fruit du métissage des populations d’ici et d’ailleurs… […] Dans nos cuisines, nombre d’emplois sont occupés par des étranger·ères (50 % en Ile-de-France – selon l’Insee) alors que 200 000 postes restent non pourvus dans le pays, peut-on lire dans le texte. Nous avons besoin des personnes immigrées, très nombreuses à se tourner vers nos métiers, dans un secteur qui peut et doit former, recruter et faire évoluer des dizaines de milliers de personnes. C’est pourquoi nous affirmons que nos tables comme nos cuisines doivent rester ouvertes à toutes et tous, inconditionnellement. Que nous placerons toujours le talent, l’envie et le courage avant une nationalité, une origine ou un statut administratif. Que nous refuserons d’appliquer toute mesure discriminatoire envers les étranger·ères, contraire à nos valeurs républicaines.»
Alessandra Montagne ne dit pas autre chose : «Ces valeurs ne sont pas les miennes. Ce que je trouve beau en France, c’est la mixité culturelle. Les cuisines étrangères ont influencé la cuisine française de façon très positive. On ne peut pas rester dans l’entre-soi, ou manger comme au XIXe siècle.» Plus prosaïquement, en tant que cheffe d’entreprise, elle constate : «Sur 25 salariés, j’ai peut-être quatre Français. Tout le monde a une carte de séjour, je me questionne simplement si ces personnes décident de rentrer chez elles, qui va travailler, en fait ? Là, je cherche un plongeur : j’ai reçu cinquantaine de candidatures, je n’ai pas un seul Français ! Et ça, Pôle Emploi le sait. Il faut arrêter de se voiler la face et régulariser les gens qui veulent travailler, en bonne intelligence».
«La gastronomie serait moins belle sans l’apport des personnes étrangères»
«Si on arrête de faire de l’hypocrisie, sans personne issue de l’immigration, la société ne fonctionne pas. Et de toute façon, c’est pour le mieux : la gastronomie serait moins belle sans l’apport des personnes étrangères, au-delà de leur contribution concrètes dans les métiers de la restauration, explique à Libé la responsable de la communication de l’association Refugee Food. Ça n’empêche pas de se poser des questions sur le secteur et ses conditions de travail, mais on a tenu à se positionner pour rappeler cela.»
Le projet de loi, adopté le 19 décembre avec le soutien des parlementaires de droite et d’extrême droite, n’a pas encore été promulgué, le Conseil constitutionnel devant encore rendre, le 25 janvier, un avis sur la légalité du texte. «Il y a une carte à jouer face à cette ambiguïté et cette hypocrisie, veut-on encore croire chez Refugee Food. Cette loi a été conçue pour rallier les votes [à droite] mais ça ne passe pas : ni dans les métiers qu’on connaît ni sur les principes.» Dimanche, des défilés sont prévus un peu partout en France, une semaine après une première mobilisation. A Paris, le départ de la manifestation se fera à Trocadéro, à 14 heures.