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Migration

Expulsion des exilés : le Conseil d’Etat saisi pour suspendre l’accord franco-britannique conclu cet été

Entré en vigueur sans débat au Parlement, le texte prévoyant le renvoi de demandeurs d’asile vers la France est «entaché d’illégalité», plaide une quinzaine d’organisations unies contre «cet accord de la honte», dont Utopia 56, Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme.

Des personnes tentent de rejoindre le Royaume-Uni à bord d'une embarcation de fortune, près de Calais le 27 septembre 2025. (Abdul Saboor/REUTERS)
ParRachid Laïreche
Reporter au service société
Publié le 14/10/2025 à 12h56

Une contre-attaque. Le Conseil d’Etat a été saisi «d’un référé suspension» vendredi 10 octobre par 16 organisations, dont le Groupe d’information et de soutien des immigrés, la Ligue des droits de l’homme, la Cimade et Utopia 56. Une mission groupée pour des assos qui espèrent suspendre l’accord bilatéral signé en juillet entre la France et le Royaume-Uni, qui prévoit le renvoi des migrants ayant traversé la Manche sans titre de séjour. Il est appliqué depuis le mercredi 6 août et s’est concrétisé pour la première fois le 18 septembre, quand un homme, qui avait traversé illégalement la Manche, a été expulsé du Royaume-Uni. Il a atterri en France via un vol commercial.

«Le décret d’application de cet accord de marchandage est entaché d’illégalité en ce qu’il ne respecte pas le procédé prévu par la Constitution», écrivent les associations dans un communiqué commun. Elles «dénoncent le procédé par lequel le gouvernement, au détour d’un simple décret, a rendu cet accord de la honte applicable, au détriment des droits fondamentaux des personnes concernées.»

«One in, one out»

L’accord entre Paris et Londres – appelé «one in, one out» («une entrée, une sortie») – permet de renvoyer vers la France certains demandeurs d’asile arrivés illégalement pour accueillir en échange les exilés qui seraient susceptibles d’être acceptés, en raison notamment de liens familiaux. Une sorte de rétablissement d’une voie légale. La quasi-intégralité des personnes qui franchissent la Manche sur des bateaux de fortune réclame l’asile au Royaume-Uni. La majorité de leurs demandes (presque 7 sur 10) sont acceptées.

Contacté par Libération, Me Lionel Crusoé, avocat des associations requérantes, affiche une certaine confiance. Il dénonce dans un premier temps la «philosophie» de l’accord entre Paris et Londres : une «mécanique qui ne prend pas en compte» la vie des exilés. Mais les associations misent sur le droit pour faire capoter l’accord entre les deux pays. «C’est inscrit dans la Constitution. Cet accord, avant d’être publié par le gouvernement, aurait dû être soumis à la ratification du Parlement, explique l’avocat. Cet accord ne respecte pas l’article 53 de la Constitution parce qu’il est rentré en vigueur sans débat au Parlement.» Le Conseil d’Etat a deux mois pour statuer.

Le débat politique, les accords entre deux pays et la contre-attaque des associations ne changent pas le décor actuel. Les traversées de la Manche se poursuivent (plus de 35 000 personnes ont franchi la mer depuis janvier) et les drames aussi. Le préfet maritime de l’Atlantique, Jean-François Quérat, a livré un premier bilan de la saison 2025 au début du mois d’octobre : plus de 3 655 interventions en mer et 23 décès ont été enregistrés cette année sur la façade Manche-Atlantique, deux de plus dans cette zone que l’année précédente.