Au lendemain de l’adoption de la loi immigration par le Parlement, le gouvernement s’active autour du service après-vente du texte controversé. Pendant que le Rassemblement national jubile sa «victoire idéologique», selon les mots prononcés par Marine Le Pen, la Première ministre, Elisabeth Borne, et le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a tenté de sauver les meubles avec plus ou moins de mauvaise foi ce mercredi 20 décembre sur France Inter. Libération passe en revue ses déclarations à la lumière de ces nouvelles dispositions législatives, issues de la commission mixte paritaire (CMP).
Le droit du sol
«On ne remet pas en cause le droit du sol», a martelé sans ciller Elisabeth Borne au micro. Et la Première ministre d’interroger, avec la même assurance, «où y a-t-il dans le texte une remise en cause du droit du sol ?» Aujourd’hui, les enfants nés en France de parents étrangers obtiennent automatiquement la nationalité française à leur majorité. Il s’agit d’un principe fondamental, apparu pour la première fois dans un édit royal du XIVe siècle. Il suffisait, selon le texte en vigueur depuis le 1er janvier 2020, que l’enfant ait «eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de 11 ans» pour devenir français. Désormais, les législateurs imposent aux jeunes concernés qu’ils «manifest[ent] la volonté» d’obtenir la nationalité française. Cette modification est issue d’une proposition de la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer.
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Dans un courrier adressé à la Première ministre et rendu public le 6 novembre, plusieurs ONG, syndicats, et universitaires, ont dénoncé «un degré de restriction du bénéfice du droit du sol inconnu depuis le régime instauré en… 1804», année de promulgation du premier code civil instauré par Napoléon Bonaparte. Mais un mois et demi plus tard, Elisabeth Borne n’en démord pas : «On ne remet pas en cause le droit du sol.» Elle souligne que la version initiale du Sénat prévoyait qu’un jeune «puisse acquérir la nationalité française», alors que la version adoptée instaure qu’il «acquiert la nationalité française», «à la condition qu’il en manifeste la volonté».
Et rappelle, pour se justifier, le profil de l’assaillant de l’attentat d’Arras : «On a vu sur notre sol des personnes qui ne partagent pas nos valeurs, n’aiment pas la France […] je pense qu’il est important d’acquérir la nationalité française en la demandant, en confirmant qu’on aime notre pays et qu’on croit en ses valeurs.» Rappelons également à la ministre que le jeune suspecté d’avoir assassiné Dominique Bernard le 13 octobre est né – comme deux autres de ses frères et une de ses sœurs – dans la petite république d’Ingouchie, située dans le Caucase. Bien que scolarisé en France, il n’a pas la nationalité française et a vu, au contraire, toutes ses demandes de réexamen d’asile rejetées.
La préférence nationale
C’est un concept cher au Rassemblement national. Une expression créée dans les années 80 par Jean-Yves Le Gallou et reprise par Jean-Marie Le Pen puis par sa fille, qui consiste à mettre en place une discrimination favorable aux Français par rapport aux étrangers. Pour Elisabeth Borne, toujours sur France Inter, son gouvernement n’a en aucun cas embrassé le souhait de l’extrême droite : «Vous ne pouvez pas appeler ça de la préférence nationale, ou vous nous dites que Michel Rocard et François Hollande, en donnant cinq ans pour bénéficier de la prime d’activité, portaient la préférence nationale.» La Première ministre assure que le texte ne vise pas à favoriser les Français vis-à-vis des étrangers, mais simplement à faire une distinction entre ceux qui travaillent ou non, qui étudient ou non. Le RN ne le voit pas du même œil. Marine Le Pen se réjouissait mardi d’une «victoire idéologique» de son parti «puisqu’il est inscrit maintenant dans cette loi la priorité nationale, c’est-à-dire l’avantage donné aux Français par rapport aux étrangers présents sur notre territoire dans l’accès à un certain nombre de prestations sociales».
"Vous ne pouvez pas appeler ça de la préférence nationale !"
— France Inter (@franceinter) December 20, 2023
Sur les prestations sociales conditionnées pour les étrangers, @Elisabeth_Borne se défend de s'inscrire "dans les thèses du Rassemblement national".#le710inter pic.twitter.com/2bc8NzJr3L
Le texte voté par le Sénat puis l’Assemblée nationale mardi soir acte un durcissement du versement des prestations sociales non contributives pour les étrangers qui ne sont pas des ressortissants de l’Union européenne. Pour toucher les allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire ou encore l’allocation de soutien familial, il faudra désormais cinq ans de résidence en France. Ce délai est réduit à trente mois pour les étrangers exerçant une activité professionnelle en France. Quant aux aides personnalisées au logement (APL), les non-ressortissants de l’UE pourront les toucher au bout de cinq ans s’ils ne travaillent pas, au bout de trois mois s’ils ont un emploi.
Le texte fait néanmoins des exceptions : les réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire, apatrides et étrangers titulaires de la carte de résident ne seront pas soumis à ces conditions. Les étudiants étrangers pourront, eux, toujours bénéficier des APL dès leur arrivée en France. Cela va moins loin que ce que promettait Marine Le Pen lors de sa campagne présidentielle (priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi, réservation des aides sociales aux Français), mais cela acte bien une distinction de facto entre les Français, les Européens et les étrangers hors-UE. Jusqu’à présent, en fonction des allocations, il fallait en général quelques mois pour un étranger pour les toucher.
L’aide médicale d’Etat
«Il n’est pas question de supprimer l’aide médicale d’Etat. Nous allons la garder. Nous avons retiré du texte du Sénat la mesure qui faisait disparaître l’AME au profit d’un dispositif qui ne nous convient pas», a assuré Elisabeth Borne. Et en effet, dans le long texte issu de la CMP et voté par le Parlement mardi, il n’est nulle part mention de l’aide médicale d’Etat. Les Républicains en avaient pourtant fait une ligne rouge, condition sine qua non à leur approbation du projet de loi. La droite avait au Sénat fait adopter début novembre la suppression de l’AME, qui est réservée aux sans-papiers, à condition qu’ils soient présents en France depuis trois mois, leur permettant une prise en charge à 100 % des soins hospitaliers et médicaux dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Les sénateurs proposaient de la remplacer par une plus restrictive «aide médicale d’urgence» qui aurait été «recentrée» sur la prise en charge «des maladies graves et des douleurs aiguës».
Mais le gouvernement a réussi à convaincre LR qu’une telle modification dans la loi immigration serait un «cavalier législatif» – amendement qui n’a pas de lien avec le projet de loi initial – et aurait été retoqué par le Conseil constitutionnel. Le gouvernement s’est malgré tout engagé à réformer l’AME pour satisfaire Les Républicains. Elisabeth Borne en personne a envoyé lundi 18 décembre un courrier à Gérard Larcher, le président du Sénat, dans lequel elle assure avoir «demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d’engager une réforme de l’AME». Ces évolutions «devront être engagées en début d’année 2024», poursuit-elle. L’histoire n’est donc pas terminée concernant l’AME…