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Conseil constitutionnel

Loi immigration : les aides sociales pour les étrangers, un débat pas tranché

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En censurant, ce jeudi 25 janvier, une trentaine d’articles de la loi immigration au motif qu’ils étaient hors sujet et relevaient de la «législation sociale», le Conseil constitutionnel n’a pas enterré pour de bon la préférence nationale.
Devant le Conseil constitutionnel, le 25 janvier à Paris. (Denis Allard/Libération)
publié le 25 janvier 2024 à 20h39

Le Conseil constitutionnel ne se sera pas prononcé sur la constitutionnalité des dispositions parmi les plus décriées de la loi immigration votée par la majorité, la droite et l’extrême droite en décembre. Soit celles prévoyant de durcir les conditions d’accès aux prestations sociales pour les étrangers. Comme une trentaine d’autres, l’article a été retoqué, car «relevant de la législation sociale», il n’avait rien à faire dans ce texte-là… L’institution avait été saisie sur ce point précis à la fois par les parlementaires de gauche et par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui avait voté pour la loi deux jours plus tôt. Tous s’interrogeaient sur sa conformité au principe d’égalité.

Des répercussions souvent dramatiques

De tous les changements exigés par le groupe Les Républicains auxquels la majorité a consenti, ceux relatifs aux règles d’accès aux prestations sociales pour les étrangers extracommunautaires en situation régulière marquait un fort durcissement, à la fois en allongeant la durée de résidence requise et en introduisant une condition de travail. Pour prétendre à l’aide personnalisée au logement (APL), la durée de résidence en France exigée serait passée de six mois aujourd’hui, à cinq ans pour les personnes qui ne travaillent pas et trois mois pour celles qui travaillent. Si les APL ont concentré l’attention, de nombreuses autres prestations étaient touchées par ces conditions drastiques. Une durée de deux ans et demi était prévue pour les étrangers qui travaillent, de cinq ans pour les autres, afin d’avoir le droit de recevoir les allocations familiales, l’allocation de soutien familial, l’allocation de rentrée scolaire…

Derrière cette litanie, un grand bouleversement humain, qui aurait privé de leurs droits sociaux jusqu’à 700 000 personnes. C’était l’estimation haute reprise par le collectif «Nos services publics» dans un rapport. Un chiffre de 700 000 personnes donc, en incluant les couples dont seulement un des conjoints est étranger et les familles monoparentales. En ne tenant compte que des ménages au sein desquels les deux conjoints sont étrangers, le calcul aboutissait à «au moins 110 000 personnes, dont 30 000 enfants». Autant d’individus qui allaient subir les déflagrations de cette rupture de droits. Rien que pour les APL, Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole du DAL, résumait dans Libération en décembre : «Avec cette mesure, il reste comme alternative : la rue, la cabane au fond des bois ou le logement du marchand de sommeil.» Les répercussions sur les familles monoparentales s’annonçaient dramatiques. La pauvreté des enfants, déjà alarmante puisqu’elle concerne un mineur sur cinq, allait s’aggraver. «Les prestations familiales sont le composant du système sociofiscal qui permet le plus de diminuer la pauvreté des enfants», constatait, en 2021, le Haut Conseil de la famille.

Aucune corrélation entre le nombre d’immigrés et les prestations

Les conséquences de ces dispositions sur l’accroissement de la pauvreté auraient été aussi tangibles que les intentions qui ont présidé à sa rédaction étaient chimériques. Pour justifier de telles mesures de «préférence nationale» au programme du Front national puis du RN depuis quarante ans – Marine Le Pen préconisait en 2022 de conditionner le versement aux étrangers des prestations à cinq ans de travail à temps plein –, des parlementaires ont brandi la lutte contre «un appel d’air» qui serait lié aux conditions d’accueil en France. C’est doublement faux. D’abord, la France n’est pas une destination de migration particulièrement prisée, aucun déséquilibre du nombre d’entrées par rapport à sa démographie ou à son PIB n’est constaté. Ensuite, les chercheurs n’observent aucune corrélation entre le nombre d’immigrés et les prestations sociales. Cet «appel d’air» est donc un «mythe», considère souvent François Héran, titulaire de la chaire migrations et sociétés au Collège de France.

Interrogé à propos de ces mesures pendant sa conférence de presse, le président de la République a, lui, d’abord choisi le terrain de la morale. Il a répondu en usant de la question rhétorique, procédé cher à Sarkozy, à propos des délais déjà existants pour accéder aux prestations : «Est-ce que c’est injuste ? Ma réponse est non, ce n’est pas toujours aberrant.» C’est, selon lui, le prix du «consensus social». «Vous ne pouvez pas avoir une démocratie avec un modèle social aussi généreux que le nôtre qui ne conditionne pas à certaines règles l’accès aux prestations», a-t-il aussi considéré. Ce débat-là, le Conseil constitutionnel ne l’a pas clos.