Posée sur une chaise, au bout de la table à manger du salon, Djamila (1) sucre son café. Elle le mélange lentement en gardant la tête baissée. Les mots ne sortent pas de sa bouche. La nuit et la pluie tombent dans les Hauts-de-Seine. Djamila, 77 ans, a un foulard à fleurs sur sa tête, des boucles d’oreilles rondes dorées et un gilet en laine rouge. Elle est colorée, mais son visage est éteint. Elle laisse la lumière à Latifa et Farès, deux de ses enfants. Ils racontent encore une fois la même histoire, celle qui bousille leur quotidien depuis des années.
Farès a la petite soixantaine, un débit à grande vitesse et un poste à responsabilité dans un laboratoire pharmaceutique. Sa colère est souvent accompagnée de grands gestes avec les mains. Latifa est plus jeune, la quarantaine à peine. La comptable, qui nous accueille dans son appartement, est aussi plus tranquille. Elle reprend parfois son aîné en souriant quand il s’égare dans ses mots.
Leur destin a officiellement basculé en février 2019. Djamila et trois de ses enfants ont perdu leur nationalité française au tribunal judiciaire de Paris. Les certificats de nationalité, qui ont été délivrés à la famille le 20 décembre 2000 par le tribunal d’instance de Colombes, dans les Hauts-de-Seine, ont été «annulés» par le juge.
Djamila est née en Algérie, dans un petit village en Kabylie, mais ses ancêtres sont français. Dans son bureau, à Paris, Elena Velez de la Calle, qui défend la famille, pose un gros dossier sur la table.