Moins d’un an après les vifs débats sur la loi immigration, l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Bruno Retailleau, qui avait largement contribué à durcir le texte en tant que chef de file des sénateurs LR, inquiète les associations. Hélène Soupios-David, directrice du plaidoyer à France Terre d’asile, craint notamment de futures coupes budgétaires dans les politiques d’intégration et d’insertion des étrangers, aux conséquences désastreuses.
Bruno Retailleau soutient l’instauration d’une préférence nationale pour l’accès aux prestations sociales, défend la transformation de l’aide médicale d’Etat (AME) en aide médicale d’urgence (AMU) pour limiter l’accès aux soins des sans-papiers, et n’hésite pas à associer immigration et délinquance. Que représente son arrivée place Beauvau ?
On regarde cette arrivée avec inquiétude. Bruno Retailleau est à l’origine, avec François-Noël Buffet [nommé ministre chargé de l’Outre-Mer, jusqu’ici sénateur LR du Rhône et président de la commission des lois du Sénat, ndlr] d’une proposition de loi constitutionnelle [déposée en mai 2023] relative à l’immigration et à l’asile très dure, ayant créé des clivages énormes et remettant en cause nombre de droits fondamentaux. Remplacer l’AME par l’AMU, par exemple, aurait les effets inverses à ceux espérés : la prise en charge plus tardive des gens finirait par coûter plus cher au système de santé. La mise en place de quotas migratoires va à l’encontre d’un droit aussi fondamental que celui pour une personne de pouvoir vivre avec sa famille lorsqu’elle travaille en France. L’obligation de dépôt des demandes d’asiles au sein des postes consulaires français à l’étranger, une autre mesure qu’il défend, remettrait en cause le droit d’asile, tradition à laquelle nombre de Français tiennent.
Toutes ces mesures, plébiscitées par le nouveau ministre de l’Intérieur, sont très restrictives et n’apportent pas de réponse aux vrais enjeux posés pas l’immigration. Il faut arrêter de se mettre des œillères en pensant que l’immigration peut être stoppée. Ce qui compte, c’est comment on l’organise, et comment on fait en sorte que tout le monde puisse vivre ensemble de manière paisible et égalitaire.
Risque-t-on un retour en arrière de la loi immigration dans sa version la plus dure, telle qu’elle était avant sa censure partielle par le Conseil constitutionnel ?
Bruno Retailleau est ministre de l’Intérieur, mais il n’est pas Premier ministre. Nous attendons le discours de politique générale de Michel Barnier, et de voir quelles seront les orientations globales qui seront données. Même si on a un gouvernement très à droite, Les Républicains n’ont pas gagné les élections : ils devront faire avec les forces en puissance à l’Assemblée nationale et s’adapter.
Ce qui est sûr, c’est qu’à titre individuel, en tant que chef de file des Républicains au Sénat, Bruno Retailleau a dit qu’il voulait une nouvelle loi immigration. Pourtant, elle ne serait pas utile. L’encre de celle votée il y a moins d’un an à peine séchée, ses effets n’ont pas encore été étudiés.
Peut-on malgré tout se réjouir qu’un ministère de l’Immigration n’ait pas été créé, comme le laissait présager certains ?
La recréation d’un ministère de l’Immigration, tel qu’il existait sous Nicolas Sarkozy [entre mai 2007 et novembre 2010], en intégrant l’identité nationale, faisant ainsi une distinction entre qui à le droit d’être français ou non, renvoie à des heures assez sombres. Alors oui, ne pas ressortir quelque chose qui n’a pas duré longtemps, et qui n’a pas fonctionné, c’est une bonne nouvelle. Mais la nomination d’une personnalité comme Bruno Retailleau envoie malgré tout un message sur le type de politique qui va être mené. Nous craignons notamment des coupes budgétaires dans les politiques d’intégration, d’insertion des étrangers, qui auraient des conséquences désastreuses pour toutes les personnes que nous accompagnons à France Terre d’asile en termes de recherche d’emploi, de logement… Les conséquences seraient désastreuses sur le long terme.