Des villages aux routes coupées, des rues devenues des rivières : dans le Pas-de-Calais, deux fleuves côtiers sont entrés en crue, la Liane, dans la région de Boulogne-sur-Mer, et l’Aa du côté de Saint-Omer. Ils étaient en vigilance rouge crue et viennent de descendre d’un cran, en vigilance orange, comme la Hem et la Canche. 69 communes sont concernées, avec 144 écoles et 33 collèges et lycées qui étaient fermés ce mardi 7 novembre, par prudence. Seuls deux blessés légers sont à déplorer, mais les dégâts matériels s’annoncent lourds. 305 sapeurs-pompiers ont été déployés, pour 135 interventions mardi après-midi. La nuit, qui s’annonce pluvieuse, inquiète les habitants et les autorités, même si la décrue s’amorce.
«Tout est fichu»
Ce sont des coins habitués aux inondations, mais là, c’est du jamais-vu : la Liane est montée à 5,30 mètres, impossible de la traverser en voiture. A Hesdigneul-lès-Boulogne, elle a pris ses aises sur les pâtures voisines. De l’autre côté, le village et son église. Corentin s’équipe à côté de sa voiture de cuissardes de pêcheur, qu’il a achetées ce matin. Il s’apprête à traverser à pied, pour aller récupérer un matelas pour sa petite dernière et des habits de rechange pour tout le monde. «J’ai 50 centimètres d’eau dans la maison, tout est fichu, à part ce qui est à l’étage, explique-t-il, désabusé. J’ai dépensé 200 euros dans une pompe pour la cave, de la mousse expansée, des plaques de PVC, mais l’eau, rien ne l’arrête.» Surtout, c’est la rebelote qui le fatigue : «Cela fait la deuxième fois en une semaine, et la troisième en six ans. On a été inondé vendredi ; dimanche on a tout nettoyé. Lundi, je suis parti au travail à 7 h 45, et à 8 h 20, ma femme m’appelait pour me dire que l’eau était rentrée dans la maison.» Il prévoit de vendre, après avoir remis sa maison en état. «Ce n’est pas une vie, de ne jamais savoir si on va être pris par l’eau.»
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A Isques, la rue de la Gare, qui emmène jusqu’à Saint-Etienne-au-Mont, n’est praticable qu’en bateau à moteur, avec au moins 1,50 m d’eau. Une cinquantaine de maisons ont été évacuées. Maryse est en colère : son entreprise, un atelier de menuiserie, est sous l’eau, les machines foutues. Son mari est resté sur place. Il n’a rien mangé depuis lundi midi : «On avait encore des petits pains au chocolat, mais pas assez pour soutenir un siège», s’inquiète-t-elle. Ce matin, à 9 heures, elle avait rendez-vous avec l’expert de son assurance pour les dégâts de la première inondation, vendredi. «Je lui ai envoyé un petit message, pour lui dire que ce n’était pas la peine de venir, et j’ai envoyé une belle photo», ironise-t-elle. Au café-PMU, on blague : «Il paraît qu’il y a une promo chez Decathlon, sur les palmes et les masques de plongée.» Mais le cœur n’y est pas vraiment.
A Blendecques, près de Saint-Omer, là aussi, des rues se retrouvent noyées. L’Aa est sortie de son lit, bouillonne au ras du pont où les curieux s’arrêtent. Rue Roger-Salengro, Antoine n’a pour l’instant que sa cave remplie d’eau. La mairie lui a livré deux sacs de sable, qu’il a placés devant son entrée. Il a surélevé ses meubles du rez-de-chaussée. La rue en impasse au coin de sa maison est entièrement inondée. Un pompier s’éloigne, comme pour tester la profondeur, il a de l’eau jusqu’aux genoux. Une poubelle, avec son couvercle jaune, flotte, paisible. Le lotissement a été évacué lundi soir, sauf deux couples de sexagénaires, qui ont cru à une exagération de l’alerte. «On a dû les sortir à dos d’homme ce matin», raconte Vincent Maquignon, en cuissardes imperméables, adjoint au maire de la commune. Il travaille aux Voies navigables, lui et ses collègues surveillent les digues.
«Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de dégâts»
C’est la grosse inquiétude, confirme Philippe Boidin, l’adjoint au maire de Saint-Omer, chargé des marais. Pour l’instant, la ville est relativement épargnée, à part un parking inondé, mais explique-t-il, si deux digues sensibles, du côté du canal de Neufossé, lâchent, plusieurs centaines de maisons pourraient se retrouver les pieds dans l’eau. Dans ce coin de terres marécageuses, asséchées par un système complexe de canaux, les wateringues, on a l’habitude de gérer l’eau. «Mais là, c’est costaud», commente un habitant. Vincent Maquignon n’a dormi qu’une heure cette nuit, dans la salle ouverte aux sinistrés. Sa maison est inondée. Il soupire : «C’est un quartier qui n’aurait jamais dû être bâti ici, sous le niveau de la route.»
Alain, 72 ans, n’a même pas peur. Tant pis si son jardinet est détruit par le courant. «Je vois que ça a déjà baissé de vingt centimètres, ce n’est pas comme en 2002.» La référence est sur toutes les lèvres : la crue avait été terrible, pire qu’aujourd’hui, ont-ils l’impression. En fait, la préfecture est formelle: l’eau est montée à 2,40 m, plus haut qu’en 2002. A l’époque, une digue avait lâché : «Ça a fait une vague, l’eau est montée de soixante centimètres en une heure et demie», se souvient Vincent Maquignon. Les bassins de rétention creusés depuis ont aussi limité la crue. Coralie, 32 ans, auxiliaire de vie, qui voit l’eau brunâtre affleurer à la porte de sa véranda, s’indigne : «Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de dégâts, avec les bassins de rétention. Ils ne sont pas suffisants.» A Isques, Sylvie Grare, première adjointe de la ville, en appelle à l’Etat : «Il faut qu’il se bouge pour nous aider.»