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Libération
Reportage

Inondations dans le Pas-de-Calais : «Si ça cède, une vague de deux mètres risque de se déverser sur nos villages»

Placé en alerte rouge ce jeudi 8 novembre, le département est arrosé par de nouvelles pluies diluviennes. Dans les villages près de Montreuil-sur-Mer, les rivières débordent et l’eau ne cesse de monter, suscitant de vives inquiétudes chez les habitants.

A proximité du village d'Hesdigneul-les-Boulogne, le 7 novembre 2023. (Stéphane Dubromel/Hans Lucas pour Libération)
Par
Nadia Daki
envoyée spéciale à Estréelle
Publié le 09/11/2023 à 18h52

«Ça passe, vous croyez ?» En dépit des panneaux barrant la route, certains automobilistes continuent à tenter leur chance pour tenter d’accéder aux communes d’Estrée et d’Estréelles, dans un Pas-de-Calais de nouveau placé en vigilance rouge ce jeudi 9 novembre pour pluies et inondations. Sans succès, des agents municipaux veillant au grain à l’entrée de la rue principale reliant les bourgs mitoyens, inondés depuis lundi et évacués mercredi. La pluie tombe en continu et la Course, rivière qui traverse les deux villages, coule désormais sur la route. Difficile d’évaluer le niveau de l’eau, qui ne cesse de monter.

Les pompiers ont installé leur base d’opération à l’intérieur de l’école d’Estréelle. Car en plus des pluies incessantes, une autre menace pèse : une brèche a fragilisé l’une des rives qui bordent la Course. Le cours d’eau, d’ordinaire paisible, risque maintenant de se déverser dans la Balistière, un plan d’eau d’une dizaine d’hectares et de submerger les villages. «Pour l’instant, ça tient. Mais si ça cède, une vague de 2 mètres risque de se déverser sur nos villages, nous a dit le maire», s’inquiètent Germaine et Gabriel Richard, retraités installés depuis douze ans à Estréelles. Mercredi soir, ils ont embarqué leur chienne pour passer la nuit dans la salle des fêtes. «On a déjà vu la Course déborder mais jamais à ce niveau-là, poursuit Germaine. Néanmoins on ne se plaint pas, seul notre sous-sol a été inondé.»

La maison du couple, située en hauteur, surplombe la rue de la Vallée, cette voie principale qui traverse Estrée et Estréelles. Elle offre une vue imprenable sur ce qui se joue. «On l’avait justement achetée parce qu’il y avait la rivière à côté. D’habitude, on la voit à peine», affirme Germaine. La Course traverse désormais leur jardin. La retraitée et son mari ont regagné leur domicile ce jeudi matin. Depuis, ils ne quittent ni la rue des yeux ni leur téléphone. Sur leurs portables, les signaux d’alerte envoyés par la préfecture bipent à faire réveiller leur chienne qui ronfle paisiblement sur le canapé. «Apparemment, ça risque d’être critique ce soir, vers 22 heures. On verra bien. De toute façon, on ne peut rien faire à part attendre», lâche Gabriel, scrutant l’eau qui monte dans la rue principale.

«Ces pluies dépassent les prévisions que nous avions faites»

Après le 2 novembre et le passage de la tempête Ciaran, puis les pluies torrentielles qui ont déjà détrempé la région mardi, certains habitants du Pas-de-Calais connaissent leur troisième inondation en une semaine. Ce nouvel «épisode pluvieux intense» intervient donc «dans un contexte hydrologique très préoccupant», alerte Météo-France. Avec des cumuls de précipitations atteignant jusqu’à 100 mm par endroits ce jeudi, «ces pluies dépassent les prévisions que nous avions faites», a de son côté reconnu Gérald Darmanin, en visite dans le Pas-de-Calais.

En prévention, le ministre de l’Intérieur a donc annoncé en début d’après-midi la fermeture jusqu’à dimanche soir des établissements scolaires et des crèches de 200 communes dans les secteurs de Montreuil-sur-Mer, Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer, contre 74 auparavant. Les établissements des bassins de l’Aa et de la Liane, eux, sont déjà fermés depuis mardi. La circulation des trains TER pourrait elle aussi être perturbée jusqu’à samedi «sur l’ensemble des Hauts-de-France», selon la SNCF.

«Des pierres ont même été apportées de Marquise»

La vingtaine de pompiers sur place est «là au cas où, sur demande de la cellule de crise déployée à Arras», raconte l’un d’entre eux venu expressément de l’Aisne lundi. «La population a été évacuée mais certaines personnes sont encore sur place», explique-t-il. C’est le cas de Germaine et Gabriel Richard. Certes, ils n’ont ni chauffage ni eau chaude, leur chaudière ayant pris l’eau, mais ils préfèrent rester chez eux. Pour l’instant. «Des grues et des bull [bulldozers, ndlr] s’affairent pour tenter de remettre la Course dans son lit. Des pierres ont même été apportées de Marquise», affirme Gabriel, dont le salon est devenu son poste d’observation. A gauche, la Course qui s’échappe. A droite, la rue principale et les va-et-vient des pompiers et agents municipaux.

«On n’est pas à plaindre, assure Germaine. Les voisins qui habitent la rue des Marais ont eu jusqu’à 1,20 mètre d’eau chez eux. C’est une catastrophe.» Appuyée sur la nappe fleurie du salon, elle fait défiler sur son portable les photos des dégâts. Des carrelages qui ont sauté, de l’eau dans les réfrigérateurs, des salons retournés… «Tout est à refaire. Comment vont faire les personnes âgées ?» s’inquiète-t-elle. Germaine et Gabriel rappellent néanmoins que la solidarité s’est vite mise en place depuis lundi dans le village. «Benoît, agriculteur à Estrée, a transporté tout le monde avec son tracteur. Le cantonnier, lui, est venu plusieurs fois nous donner des informations. Le maire et son fils passent également très souvent nous voir.» Eux ne semblent pas très inquiets, contrairement à leurs enfants, qui les appellent plusieurs fois par jour. La voisine d’en face, dont la maison a été inondée, vient également aux nouvelles. Les traits du couple sont malgré tout tirés. «On va se réveiller à tour de rôle pour surveiller la situation», annonce Germaine.

Le Pas-de-Calais reste pour l’instant en vigilance rouge jusqu’à 14 heures ce vendredi. Mais l’épisode pluvieux pourrait reprendre dès dimanche. «On verra pour les ouvertures de lundi si c’est possible», a averti Gérald Darmanin. L’état de catastrophe naturelle, lui, doit être déclenché pour les villes touchées lors d’une réunion organisée le 14 novembre.