A l’angle du boulevard Poissonnière et de la rue du même nom, les trottoirs sont pleins à craquer. Devant le Grand Rex, vendredi soir, ça se bouscule. Influenceurs et autres célébrités se succèdent à l’entrée VIP, sous les cris de la foule. Téléphones et grosses caméras les mitraillent. Certains sont seulement de passage et s’arrêtent sur leur chemin, Vélib entre les jambes, smartphone à la main. D’autres sont venus devant le cinéma exprès pour l’événement, en espérant décrocher un selfie avec Inoxtag, s’enivrer de l’ambiance euphorique de cette soirée.

Vénus et Lili-Rose, étudiantes de 18 et 19 ans, n’ont pas pu obtenir de places pour le Grand Rex. «On aurait vraiment aimé le voir ici avec tout le monde, pour l’ambiance», regrettent-elles. Les fans et autres observateurs se pressent dans un nouveau mouvement de foule : «C’est Léon Marchand !» «On est venues pour ça, pour des gens qui se battent sur un trottoir», s’amusent les deux amies. Ce soir, la salle mythique du cinéma n’est remplie que d’invités. Les fans présents ont gagné un concours sur iGraal – un site de «cashback» qui applique des réductions après un achat en ligne – pour vivre une ascension sur grand écran.

Avec la projection en avant-première de son documentaire, Kaizen, Inoxtag a rempli plus de 500 salles en France et à l’étranger. «Inoxtag a cassé Internet», écrit Allociné (propriété de Webedia, notamment producteur de Kaizen) qui a connu un pic d’audience le 3 septembre à l’ouverture de la billetterie en ligne. «Des chiffres normalement atteints par les blockbusters sur plusieurs semaines» l’ont été en quelques heures. Sold-out dans l’Hexagone, en Belgique, Suisse, Luxembourg, Algérie, Maroc… Plus de 200 000 places ont été vendues. C’est le «phénomène Kaizen», qui suscite autant d’admiration que de mépris. Et qui sera visionnable dès ce samedi 14 septembre à 14h30 sur YouTube.

Des jeunes éloignés des salles de cinéma se sont déplacés, comme Massi, 15 ans : «Je préfère être au Grand Rex que regarder le film chez moi, c’est une sensation différente.» Maé et Romeila, 19 ans, sont venues de Lille spécialement pour la soirée. «C’est une salle mythique le Grand Rex, et au moins on sera pas tout seul», confirme Luna, 13 ans. De fait, la salle a vibré durant les 2h40 de projection, rythmée par les applaudissements du public.

«Inoxtag et l’Everest : un rêve de riche ?» s’interrogeait vendredi le youtubeur Nota Bene, connu pour ses vidéos d’histoire. La morale du documentaire Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest : tout est possible à qui s’en donne les moyens… et à qui en a les moyens. Doté de plusieurs millions d’euros de budget, le projet a été largement financé par des marques. Impossible de louper les placements de produits qui ponctuent le documentaire. Saturé de musiques épiques, à mi-chemin entre les codes de YouTube et ceux d’Hollywood, le spectateur n’a pas la chance d’écouter le silence glaçant des hauteurs de la déesse mère des vents (l’Everest, de son nom tibétain «Chomolungma»).

Une fois à son sommet, Inoxtag enfile son chapeau de paille, qui était accroché à son sac à dos durant ses 8 849 mètres d’ascension. C’est le chapeau de Luffy dans One Piece, le manga le plus vendu au monde, qui a inspiré toute une génération au dépassement de soi. Les lumières se rallument.

Après un discours émouvant, la projection se termine sous un tonnerre d’applaudissements pour Inoxtag et son équipe. Ses Sherpas, guides tibétains de haute montagne, ont été invités spécialement pour cette soirée. En sortie de salle, la redescente est difficile, dans les escaliers du Grand Rex se forment des embouteillages. Ceux-là mêmes qu’Inoxtag craignait tant sur le parcours du mont Everest, sont aujourd’hui synonymes de son ascension.