De la pluie, de la pluie et encore de la pluie. Alors qu’elle n’était pas prévue ce vendredi matin, et que le soleil est pourtant là, des gouttes tombent quand même sur les vignes du domaine des frères Pluchot, «Le retour aux sources», à Saint-Alban-les-Eaux (Loire). En pleine période des vendanges, la France a été traversée ces trois derniers jours par une «rivière atmosphérique» baptisée Aitor. Des pluies hors norme et en continu, l’équivalent de trois semaines de précipitations. L’Auvergne-Rhône-Alpes a été l’une des régions les plus touchées avec quatre départements placés en vigilance orange «pluie et inondation» par Météo-France, jeudi 26 septembre : l’Ain, l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie.
Depuis l’annonce de l’arrivée de la dépression en début de semaine, beaucoup de vignerons ont enclenché une course contre la montre pour vendanger un maximum avant la pluie et éviter la pourriture du fruit. Au domaine des frères Pluchot , producteurs en côte-roannaise, 80 % de la récolte était dans les cuves. «On a commencé à trouver des foyers de pourriture mercredi soir donc il était temps ! C’est toujours mieux que ça ne soit plus sur la ligne, assure Edgar Pluchot, 43 ans, propriétaire du domaine avec son frère depuis vingt ans. Forcément, avec la pluie d’hier, il y aura donc plus de tri à faire. Et qui dit plus de tri, dit plus de pertes.»
«Il n’y avait aucune raison pour que les vendanges se passent bien»
Comme partout dans la région, la pluie a obligé la suspension des vendanges jeudi 26 septembre, lors du passage de la tempête. Pendant la récolte, avec de l’eau sur les feuilles, sur les raisins, dans les hottes et au final dans la cuve, le danger est de trop diluer le vin et de faire baisser le pourcentage d’alcool. «On se bat toute l’année pour avoir entre 12 % et 13,5 %. Si, à cause de la flotte, le niveau d’alcool tombe à 11 %, c’est les boules !» poursuit Edgar Pluchot, heureux d’avoir commencé les vendanges vendredi dernier… et pas plus tard. «Mais s’il pleut et qu’on ne peut plus attendre, il faut vendanger pour éviter la pourriture qui peut flinguer une cuve.»
Avec un printemps et un été déjà pluvieux, ces dernières précipitations sont une goutte de plus dans le vase déjà bien plein des vignerons cette année : «On était partis sur une année megacompliquée. Il n’y avait aucune raison pour que les vendanges se passent bien. On va cumuler une belle année bien pourrie jusqu’au bout. Puis on appuie sur le bouton reset et l’an prochain on repart sur autre chose», se résigne le vigneron.
Entre les vignes, Grégory Pilon, énergéticien, préfère surjouer la bonne humeur. Equipé d’une énorme hotte sanglée sur le dos, l’homme de 43 ans est chargé de collecter les grappes dans les seaux et de faire les allers-retours avec le camion parmi la vingtaine de vendangeurs. «C’est moins drôle sous la pluie mais il faut le prendre en chantant, en s’amusant. Avec le sourire ça va mieux», confie celui qui en est à ses deuxièmes vendanges. Dans le rang derrière lui, un autre porteur passe en chantant les paroles d’une chanson crachée par les haut-parleurs de son téléphone.
«C’est le mildiou !»
Près du camion qui se remplit, le frère cadet, Marc-Antoine Pluchot, 40 ans, pronostique «une récolte moyenne. Pas forcément médiocre». Il arrache une grappe d’un pied de vigne et nous la montre. Dessus, des raisins blancs cohabitent avec d’autres, noircis, atrophiés. «On lutte pour éviter que ça fasse ça, détaille-t-il. C’est le mildiou ! Ça assèche les graines et les fait tomber.» Autre conséquence de la trop forte humidité, les vignerons de la région ont lutté toute la saison contre les maladies.
Marc-Antoine baille une seconde fois. Les vendanges ont repris à 7 heures ce matin. Il décrit une année «merdique à travailler». Etant en bio, ces vignerons traitent les vignes sur la feuille, et non dans la plante. Sauf qu’à partir de 20 mm de pluie, le traitement est lessivé et il faut recommencer, ce qui coûte cher en temps et en produit phytosanitaire pour lutter contre les maladies. Ils ont également dû davantage entretenir les sols. Un ensemble qui fait «beaucoup plus d’heures dans les vignes que d’habitude».
Les deux frères gardent néanmoins le sourire. «Certains collègues, dans le Jura par exemple, ont connu bien pire avec la grêle et les orages. Nous, ça va. Touchons du bois !» relativise Marc-Antoine avant de, littéralement, toucher le bois de sa vigne. «Quand on s’est installés, les anciens nous disaient : tu auras une année de merde tous les dix ans. J’ai l’impression que c’est plutôt l’inverse, sourit Edgar, l’aîné. Mais on s’adapte. On fait partie d’une nouvelle race d’agriculteurs : on ne se plaint jamais.»