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Enquête

«Je pensais être le seul» : de nouveaux signalements après les révélations d’agressions sexuelles dans un lycée catholique près de Lyon

Affaire Notre-Dame de Bétharramdossier
Dans la foulée de notre enquête sur un ancien professeur du lycée Saint-Thomas-d’Aquin, à Oullins, plusieurs anciens élèves se sont manifestés auprès du parquet de Lyon. Plusieurs partis de gauche de la région Auvergne-Rhône-Alpes demandent une réaction politique forte.
Devant le lycée Saint-Tomas-d'Aquin, à Oullins (Rhône), le 17 avril 2025. (Bruno Amsellem/Libération)
publié le 29 avril 2025 à 14h55

«En lisant les témoignages, j’ai pris une claque.» Philippe Monnet, ancien élève au lycée privé sous contrat Saint-Thomas-d’Aquin situé à Oullins, près de Lyon, pensait «être le seul». Les révélations de Libération, les témoignages de plusieurs élèves concernant les agressions sexuelles qu’ils ont subies par un ancien professeur de français de l’établissement catholique lors de cours particuliers et les récits de ses attouchements en pleine salle de classe lui «explosent donc d’un coup au visage». Ces paroles lui font dire qu’il était loin d’être un «cas unique», «isolé».

Philippe Monet se rappelle ainsi avec une «impression de gêne immense» ces cours de français dispensés par Noël V. lorsqu’il était en classe de seconde, en 1985. L’ancien lycéen, aujourd’hui âgé de 56 ans, explique pourtant n’avoir jamais alerté personne des mains du professeur caressant ses épaules et son torse, de ses doigts «qui [lui] pinçait la peau et les tétons» pendant les cours. «Je ressentais un malaise qui allait jusqu’à me tétaniser.»

Près de quarante ans après les faits, l’ancien «thomiste» se dit «ébranlé» de constater qu’après son passage en seconde, Noël V. a «continué d’agir de la même façon, et est même monté en puissance». Ce n’est qu’en 2001, après un signalement à la suite de plaintes de quatre élèves, que le professeur est mis en retrait. Il meurt l’année suivante. En apprenant que le parquet de Lyon a ouvert une enquête «des chefs d’agression sexuelle sur mineur et de viol sur mineur» concernant ce professeur, Philippe Monet décide le 20 avril de faire parvenir son signalement auprès du procureur.

«Il a essayé de me pénétrer»

Comme lui, plusieurs anciens thomistes ont décidé de porter plainte dans la foulée du témoignage d’Arnaud Bacconnier, qui a décidé de lever son anonymat, le premier à briser l’omerta autour du professeur. Libération a pu en recenser six, à ajouter aux quatre signalements déjà effectués. Sollicité, le parquet de Lyon n’a pas donné suite à nos questions concernant le déroulé de l’enquête.

Comme Philippe Monet, Luc (1), en cours avec ce professeur de français et de latin au milieu des années 1990 au lycée d’Oullins, ne pensait «pas du tout que ça arrivait aux autres». Il confie sans aucun détour avoir «subi la totale» lors de cours particuliers dispensés au domicile de Noël V., durant toute son année de première. «Il a essayé de me faire une fellation. Il a voulu me forcer à lui en faire une. Il m’a déshabillé. Il a essayé de me pénétrer», déroule-t-il. Après quelques secondes, Luc évoque une «tentative de viol» qu’il a «oubliée sans oublier», mais qui l’a «forcément traumatisé». Il assure en avoir parlé au proviseur du lycée de l’époque, Philippe Blanc, lors d’une réunion organisée en présence de sa mère. L’ancien proviseur de Saint-Thomas-d’Aquin assure de son côté n’avoir jamais été mis au courant d’agressions sexuelles commises par Noël V. avant les signalements de 2001.

«J’ai vu et j’ai tu»

Bruno M. a lui aussi adressé une «note plainte» au parquet de Lyon. Il veut montrer que «tout le monde savait», mais que «personne n’a rien fait». L’homme de 61 ans a, lui, connu Noël V. en classe de troisième, en 1979, au collège privé Saint-Thomas-d’Aquin de Saint-Genis-Laval. L’établissement est situé à deux kilomètres du lycée du même nom. Le professeur de français y a enseigné quelques années avant de poursuivre sa carrière à Oullins. Il décrit Noël V. comme «un pédophile avéré», mais aussi «un homme complètement fou». «Un jour, ce prof m’a lancé une brosse en bois directement sur la tête parce que je chuchotais. J’ai ensuite été changé de classe. La hiérarchie m’a exfiltré plutôt que de traiter le problème, alors que l’institution était au courant de ses agissements», fustige-t-il.

En outre, trois femmes, qui n’ont, elles, «pas été victimes» de Noël V. mais «témoins de ses agissements», sont sorties du silence. Marie (1) fait état du comportement du professeur de français qui «passait sa main dans la chemise des garçons, caressait leur nuque, allant même parfois à poser ses mains sur leurs cuisses». Anne (1), en cours avec Noël V. de 1990 à 1991, se confie : «C’était su, c’était tu. Moi aussi, j’ai vu et j’ai tu.» En lisant les témoignages des victimes, l’ancienne thomiste se dit «que ce n’est plus possible», et qu’elle a un devoir «de dire que tout ce qu’ont vécu ces élèves est vrai». Un «devoir» également évoqué par Julie T., «rongée» par ces témoignages, et «révoltée» par le silence de l’institution. Elle, puisqu’elle était une fille, «est passée entre les gouttes». Mais elle se souvient de ses camarades garçons, victimes de Noël V.

Face à ces multiples témoignages qui ébranlent l’institution catholique, le groupe écologiste, socialiste et démocrate de la région Auvergne-Rhône-Alpes appelle, dans un communiqué publié mardi 22 avril, à la création d’une commission régionale indépendante «chargée de recenser les établissements sous contrat ayant fait l’objet de signalements ou d’enquêtes pour violences sexuelles». «Ça ne demande pas beaucoup de moyens, mais beaucoup de volonté politique. Car quand on ne fait rien, on est en réalité complices», avance Stéphane Gemmani, porte-parole du groupe, qui ajoute également «vouloir aider les établissements à se doter d’outils pour prévenir ces agressions sexuelles». Et le conseiller régional de déplorer : «J’ai bien peur qu’il y ait beaucoup de Saint-Thomas-d’Aquin dans notre région.»

(1) Les prénoms ont été changés.