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Libération
Reportage

Jeux olympiques : l’association La Cloche sonne l’alerte sur le mobilier urbain «anti-SDF» à Paris

A cinquante jours du début des JO, l’association qui lutte contre l’exclusion des personnes en situation de précarité interroge : comment la ville pourra-t-elle correctement recevoir les touristes si elle n’est pas accueillante pour ses habitants ?
Des dispositifs anti-SDF sous le pont Charles-de-Gaulle, à Paris, le 19 mars. (Stéphane Lagoutte/MYOP)
par Jeanne Toutain
publié le 5 juin 2024 à 19h18

Trois faux athlètes sont dans les starting-blocks, ce mercredi 5 juin 2024, sous le porche d’un immeuble du boulevard de la Bastille, dans le XIIe arrondissement de Paris. Les pieds calés sur un curieux mobilier urbain : des triangles en béton rappelant les blocs de départ d’une course d’athlétisme. Dans leur dos, une grosse cloche orange en guise de dossard. «A vos marques… Prêts… Partez !» Les trois jeunes hommes s’élancent et trottinent sur quelques mètres. Ainsi débute la conférence de presse déambulatoire organisée par l’association La Cloche, pour dénoncer et demander le retrait des dispositifs anti-SDF dans la capitale à l’approche des Jeux olympiques.

L’association, qui agit au niveau national contre l’exclusion des personnes en situation de précarité, a lancé l’été 2023 une campagne de sensibilisation drôle et décalée, alertant sur ce mobilier urbain excluant. En reprenant les codes du sport – un clin d’œil aux Jeux qui auront lieu du 26 juillet au 11 août – La Cloche, soutenue par la Fondation Abbé-Pierre, interroge : comment Paris pourra-t-il recevoir les 15 millions de visiteurs attendus pour l’évènement, si elle n’est pas accueillante pour ses habitants ?

Des vasques sans fleurs

Sous le porche de l’immeuble boulevard de la Bastille, «les triangles ont clairement été installés pour empêcher les personnes sans domicile fixe de se mettre à l’abri avec un duvet», regrette Patrice, 52 ans, bénévole de l’association. A quelques mètres, où les faux coureurs se sont arrêtés, des grilles en fer empêchent également de s’asseoir ou de s’allonger. «Nous demandons que tout soit enlevé», expose Patrice.

La balade continue. Prochain arrêt : avenue Daumesnil. Patrice montre du doigt l’entrée du parking de l’opéra Bastille. Avant, plusieurs tentes s’y implantaient le soir, abritées dans un renfoncement du mur. Une grande vasque sans fleurs prend désormais toute la place. Impossible de s’y réfugier. «Je n’ai pas eu conscience tout de suite que ces vasques étaient parfois installées comme mobilier urbain excluant, confie Gilles, 60 ans, bénévole qui a lui-même passé quinze ans à la rue. J’ai compris lorsque j’ai vu, du jour au lendemain, des pots de fleurs remplacer les copains.»

Ces dispositifs anti-SDF prennent des formes tellement multiples qu’il est «difficile de les quantifier et d’avoir des données précises sur leur nombre, indique Goli Moussavi, directrice de La Cloche pour la zone de l’Ile-de-France et des Hauts-de-France. D’autant que nous ne savons pas toujours qui les installe, entre les acteurs privés et publics.» La Fondation Abbé-Pierre tente de les recenser via une cartographie participative sur son site internet. Il y a les grilles en fer, les pots de fleurs, les triangles en béton. Mais aussi les pics, ou les rochers récemment installés sous le pont Charles-de-Gaulle, dans le XIIIe arrondissement, après l’évacuation d’un campement de migrants.

Sans oublier le mobilier urbain qui disparaît. Selon l’association La Cloche, des bancs sont régulièrement retirés de l’espace public. Remplacés par des banquettes dont le petit format permet seulement à une ou deux personnes de s’asseoir, mais pas de s’allonger. «Remettez-nous des bancs normaux ! s’exclame Jean-Pierre, bénévole d’une soixantaine d’années. C’est excluant pour les personnes sans domicile fixe, mais aussi pour les femmes enceintes, les personnes âgées ou en situation de handicap !»

Pics mal taillés

Mike enfile des gants et se place dos à l’arrêt de bus. En face de lui, un autre bénévole se prépare à un tir au but improvisé. «Attention aux vitres de l’arrêt, ça coûte cher !» lance-t-il à Mike. «T’inquiète», répond celui-ci avec assurance. Avant de bloquer le tir dans un plongeon exagéré, tel un goal professionnel. Le jeune homme de 26 ans a vécu à la rue pendant trois ans, entre 2020 et 2023. En avril 2022, il rejoint l’association, qui souhaite impliquer les personnes en situation de précarité dans la recherche de solutions. «Je ne sais pas où je serais sans eux aujourd’hui», explique Mike.

Une récente perte d’emploi a signé son retour à la rue, le mois dernier. Mike constate que le mobilier urbain anti-SDF s’est multiplié. «Avant je m’installais entre le Palais-Royal et le musée du Louvre, dans le Ier arrondissement», se souvient le jeune homme. Le manque de bancs et l’apparition de plots l’ont poussé à s’exiler : «Maintenant je dors vers l’aéroport d’Orly. Ça fait loin, mais au moins je suis tranquille.»

La promenade s’achève rue de la Roquette, dans le XIe arrondissement. «Regardez ces petits pics comme ils sont mal taillés, on voit qu’ils ont été posés à la va-vite !» lance une dernière fois Patrice. Autour de lui, les passants poursuivent leur chemin sans un regard pour les «petits pics». «Cela fait partie du décor», regrette le bénévole. Une frontière pourtant visible, qui exclut. Mais qu’on ne remarque même plus.