Retour à la case justice pour le cardinal Philippe Barbarin. La Cour de cassation examine, ce jeudi matin à Paris, le pourvoi de huit parties civiles contre la relaxe, en janvier 2020, de l’ancien archevêque de Lyon. Condamné en première instance à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements pédocriminels de l’ex-prêtre Bernard Preynat, le prélat catholique avait été ensuite blanchi par la cour d’appel de Lyon.
«Nous ne cherchons pas à faire absolument condamner Philippe Barbarin. Pour nous, l’essentiel est que la question de la dénonciation à la justice des violences sexuelles commises contre les mineurs soit éclaircie», explique, à Libération, François Devaux, l’une des parties civiles et cofondateur de la Parole libérée, l’association de victimes créée en décembre 2015 et qui a porté sur la place publique les deux affaires Preynat et Barbarin. Ces prises de position et la mise en cause du cardinal Barbarin ont provoqué, en France, un séisme dans l’Eglise catholique. L’affaire a aussi fait l’objet d’un film de François Ozon, Grâce à Dieu, sorti en 2019.
Figure charismatique dans les années 80 et 90 du catholicisme lyonnais, Bernard Preynat, destitué par la suite de la prêtrise par l’Eglise, avait fondé une troupe de scouts très réputée. Soupçonné d’avoir abusé d’une soixantaine de jeunes garçons pendant une vingtaine d’années (des affaires très souvent prescrites), il a été condamné, en mars 2020, à cinq ans de prison dans un procès impliquant dix anciennes victimes. Alerté au moins à deux reprises, en 2010 et 2014, des agissements de Preynat, Philippe Barbarin avait été poursuivi, lui, pour ne pas avoir alerté les autorités.
Cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon
L’examen de cette affaire par la Cour de cassation permettra de clarifier le périmètre de l’obligation de signalement à la justice, fixée par l’article 434-3 du code de procédure pénale, incombant à une personne ayant connaissance d’abus sexuels à l’encontre de mineurs. Pour sa défense, le cardinal Barbarin avait argué, lors de ces deux procès, d’une part que certains faits étaient prescrits et d’autre part que les victimes (mineures au moment des violences sexuelles) étaient désormais majeures. Aux yeux de l’ancien archevêque, celles-ci pouvaient donc porter plainte elles-mêmes contre Bernard Preynat. Ces arguments avaient été retenus par la cour d’appel de Lyon dans sa relaxe du prélat.
Mais tel n’a pas été l’avis de l’avocat général à la Cour de cassation, Philippe Petitprez, qui, dans un avis rendu le 22 janvier, a demandé une cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon. En substance, il considère qu’il ne revenait pas au cardinal Barbarin de décider lui-même si les faits étaient prescrits ou non et de se soustraire de l’obligation de signalement au prétexte que les victimes étaient majeures.
«En matière de violences sexuelles, de nouvelles questions sont posées, estime, pour sa part Me Nadia Debbache, avocate des parties civiles. Ainsi, il est difficile, nous le savons, pour les victimes de violences sexuelles de porter plainte, et cela souvent pendant de nombreuses années. Dans l’affaire Olivier Duhamel, il a fallu que Camille Kouchner s’exprime pour que la victime, son frère jumeau, porte plainte. Il était dangereux de laisser cette jurisprudence de la cour d’appel de Lyon sans qu’elle ne soit examinée par la Cour de cassation.»
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Toutefois, le futur arrêt de la haute juridiction ne concernera pas la condamnation pénale de Philippe Barbarin mais uniquement les possibles dommages et intérêts à verser aux parties civiles, ces dernières ne réclamant d’ailleurs que l’euro symbolique. Il aurait fallu que le parquet de Lyon fasse appel pour que la Cour de cassation revienne sur la condamnation pénale du prélat.
Le pape ayant accepté, en mars 2020, sa démission de son poste d’archevêque de Lyon, le cardinal Barbarin vit désormais retiré en Bretagne, aumônier de la congrégation religieuse des Petites Sœurs des pauvres. Dans un article publié en février dans le Figaro Magazine, il affirmait avoir été blanchi par la justice et avoir été la victime d’un acharnement médiatique à cause de ses prises de position contre la loi Taubira, autorisant le mariage entre personnes de même sexe. Dans cet article, il espérait accompagner le pape dans son voyage historique en Irak ; ce qui n’a pas été le cas.
De son côté, le diocèse de Lyon a indemnisé quatorze anciennes victimes de Bernard Preynat, condamné par la justice interne de l’Eglise. Pour ces anciens scouts de la troupe Saint-Luc, les faits étaient prescrits. Selon une source proche du dossier, le montant des dommages et intérêts versés par le diocèse – qui a fait appel à cette occasion à des donateurs – s’élèverait, selon les cas, de 10 000 à 17 000 euros.