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Libération
Vu de l'étranger

«Le côté obscur des réseaux sociaux, c’est un problème qui touche tous les pays» : l’affaire Jean Pormanove fait le tour du monde des journaux

De nombreux organes de presse étrangers se sont emparés de l’histoire du streamer de 46 ans mort en direct. «Libération» a demandé à des journalistes pourquoi ils en avaient parlé et quelle était la résonance du drame dans leur pays.
Jean Pormanove. «Sur Internet, chacun est à la fois une victime et un agresseur potentiel»», s'inquiète la journaliste italienne Sara Sonnessa. (JeanPormanove/X)
publié aujourd'hui à 10h04

A l’instar du procès des viols de Mazan, la presse internationale ne ménage pas sa couverture médiatique de la mort du streamer Jean Pormanove, qui a succombé lors d’un live diffusé sur Kick dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 août. Inde, Canada, Japon, Mexique, Liban, Allemagne, Turquie… plusieurs dizaines de journaux étrangers ont raconté cette affaire qui n’est désormais plus cantonnée au monde des réseaux. Libé a discuté avec des journalistes internationaux.

«Soyons honnêtes, en dehors d’un filme de science-fiction, une affaire de ce style n’aurait jamais existé en temps normal», démarre d’emblée Sara Sonnessa journaliste italienne pour Torino Cronaca, quand on lui demande pourquoi elle a décidé de traiter le cas Pormanove. Geert De Clercq, correspondant pour l’agence Reuters, emploie un parallèle similaire : «Dans la dernière saison de Black Mirror, il y a un épisode où un streamer se fait humilier en live pour gagner un peu d’argent. Quand je l’ai vu, je me suis demandé dans quel monde cela pouvait arriver et j’ai vite eu ma réponse.» De son côté, l’Espagnole Raquel Villaécija, du quotidien El Pais, qui a consacré cinq articles à l’affaire, y voit l’illustration de ce que «le côté obscur des réseaux sociaux, c’est un problème qui touche tous les pays du monde».

Aucun des journalistes interrogés par Libération ne connaissait Jean Pormanove avant son décès en live. «C’est justement pour ça que c’était intéressant de le faire», objecte Sylvie Corbet, de l’Associated Press. «D’ordinaire, on couvre assez peu les faits divers, mais celui-ci tombait dans un sujet de société beaucoup plus large. Avec l’aspect choquant de la mort et ligne et le fait qu’une enquête ait été ouverte depuis huit mois sans que rien ne se passe, l’affaire est remontée jusqu’au siège à New York», illustre-t-elle.

Protection des mineurs ou liberté d’expression

Au-delà des papiers publiés dans les différents canards internationaux, quelle portée l’affaire Pormanove a-t-elle eue dans les pays concernés ? En Italie, un pays qui reste «très conservateur» pour Sara Sonnessa, «certaines personnes disent qu’il l’a bien cherché là où d’autres se rendent compte des dangers que peut créer Internet, où chacun est à la fois une victime et un agresseur potentiel». Raquel Villaécija élargit la focale : en Espagne, «les gens s’inquiètent surtout que leurs enfants puisse avoir accès à ce genre de contenus violents. […] On s’intéresse beaucoup aux questions que se pose la France quant à la protection des mineurs en ligne : comment contrôler les réseaux sociaux et les plateformes, est-ce qu’on doit les interdire ou non…» Outre-Atlantique, «la question n’est pas tant celle de la modération et de la plateforme Kick aux Etats-Unis où la liberté d’expression est une valeur essentielle, mais plus sur la légalité des lives ultraviolents de Jean Pormanove», détaille Sylvie Corbet.

Difficile cependant, d’imaginer des cas similaires à JP dans les pays concernés. «Il y avait un streamer, Simon Perez, un banquier qui montrait lui aussi des contenus choquants, comme prendre de la coke en live ou prodiguer des conseils finance alors qu’il était bourré, se rappelle Raquel Villaécija. Mais pas de là à mourir en plein live.» En Italie, «nous avons beaucoup d’influenceurs, mais tous n’ont pas une portée positive. Certains se lancent des défis inutiles, d’autres se font passer pour des gourous de la santé. Mais à un moment donné, les spectateurs deviennent des patrons. Ils formulent des exigences et en veulent toujours plus», critique Sara Sonnessa.

Si l’affaire a autant fait parler à l’étranger, c’est avant tout parce que «les gens aiment le drama», selon Chris Benson, journaliste pour l’agence de presse américaine United Press International (UPI). «Les sujets comme celui-ci, ou criminels de manière générale, sont toujours populaires auprès des lecteurs. Cela n’engage que moi, mais je pense qu’il faut se rappeler que les médias sont plus ou moins un type de divertissement comme un autre pour le public», développe-t-il. «S’il n’était pas mort en live, on n’en aurait pas autant parlé, c’est sûr. Mais il y a aussi le fait que l’affaire ait été dénoncée il y a plusieurs mois sans que personne n’agisse ou encore le fait que des gens regardent des streamers se faire frapper et gagner de l’argent grâce à cela», renchérit Raquel Villaécija.

«La puissance des images et le caractère viral de cette affaire ont aussi leur rôle dans sa médiatisation. Il n’y a pas besoin de comprendre le français pour comprendre qu’un homme est inanimé dans un lit en plein live», relève Sylvie Corbet. Finalement, Sara Sonnessa voit cet emballement médiatique comme une bonne chose : «Cela signifie que les médias couvrent une actualité que beaucoup de gens ignorent. Mais l’affaire Pormanove devrait nous faire réfléchir : sommes-nous vraiment tombés aussi bas