Une décision de nature à lever un coin de voile de l’histoire ? Un arrêté paru ce mardi au Journal officiel autorise de façon anticipée l’accès aux archives des procès impliquant Maurice Papon. Ces archives «peuvent être librement communiquées» à ceux qui en feront la demande, via une demande de dérogation, et ce dix ans avant la date normalement prévue pour leur ouverture, indique l’arrêté daté du 28 mars.
En temps normal, l’accès à ce type de documents n’est autorisé qu’après un délai de 75 ans «à compter de la date du document […] inclus dans le dossier», ou dans un délai de 25 ans à compter de la date du décès de l’intéressé, précise le code du patrimoine. Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, élu député en 1968 puis nommé ministre du Budget sous Valéry Giscard d’Estaing, est mort en 2007 à l’âge de 96 ans.
Condamné à 10 ans de réclusion
Homme de cabinet dans une IIIe République agonisante, Papon choisit Vichy et la Révolution nationale de Pétain en 1940. Promu sous-préfet l’année suivante, il rejoint ensuite la Gironde, département où il sera nommé en juin 1942 secrétaire général de la préfecture. Il s’occupera notamment du service des réquisitions allemandes, de l’Occupation et du bureau des questions juives. Pour cette dernière responsabilité, il sera condamné près de cinquante-cinq ans plus tard à dix ans de réclusion criminelle pour «complicité d’arrestations illégales et de séquestrations arbitraires» dans la déportation des juifs, de Bordeaux vers Drancy. Durant cette période, près de 1 690 personnes ont été déportées. L’homme avait été remis en liberté le 18 septembre 2002, en raison de son état de santé.
Le haut fonctionnaire avait été visé par de premières plaintes en 1981, après des révélations du Canard enchaîné sur son rôle durant l’Occupation. Quinze années de procédure plus tard, Papon sera renvoyé devant la cour d’assises de la Gironde pour un procès historique. Avec l’arrêté publié ce mardi, des documents conservés aux Archives nationales, aux archives départementales de la Gironde ainsi qu’au département des archives de la documentation et du patrimoine du ministère de la Justice seront désormais accessibles.
Françoise Banat-Berger, cheffe du service interministériel des archives de France, précise que seront accessibles «les archives du procès depuis la première inculpation en 1983 jusqu’au rejet du pourvoi en cassation en 2004». Soit «des dossiers des juridictions, de la cour de cassation ainsi que les archives de l’administration centrale du ministère de la justice en relation avec ces procès». Un «très gros ensemble», souligne Françoise Banat-Berger, qui rappelle qu’une ouverture similaire avait été décidée en 2017 à propos des archives du procès de Klaus Barbie, à Lyon, en 1987.
Maurice Papon est également lié à une autre page sombre de l’histoire. Lors de la répression sanglante des manifestations d’Algériens du 17 octobre 1961, où des dizaines de personnes furent tuées, le haut fonctionnaire était à la tête de la préfecture de police de Paris. Le 16 octobre dernier, Emmanuel Macron avait reconnu «les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon». Des crimes «inexcusables pour la République», avait-il ajouté. Papon occupait également le même poste en février 1962 quand, le 8, une manifestation pacifique fut violemment réprimée au métro Charonne, à Paris. L’ouverture anticipée des archives ne devrait toutefois pas concerner ces deux événements : ils n’ont en effet pas donné lieu à des procès dans lesquels aurait pu être jugé Papon. Le rôle de l’ancien préfet de police de Paris lors de la guerre d’Algérie a seulement été évoqué lors du procès de 1998, mais «il n’y a pas eu d’investigations», explique ainsi Fabrice Riceputi.
Mis à jour à 20 h 55 avec les précisions de Françoise Banat-Berger.