Les sénateur.ices ont tranché. Le Sénat a adopté lundi 30 octobre au soir une proposition de loi de la droite visant à «protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive», le jour même de l’inauguration par Emmanuel Macron de la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts, dans l’Aine.
Billet
Après des débats animés qui ont creusé le clivage gauche-droite, les sénateurs ont voté à 221 voix contre 82 ce texte, qui permet d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans un large panel de documents. La pratique serait bannie «dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français», comme les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprise. Les actes juridiques en écriture inclusive sont également visés, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si le texte venait à devenir loi.
Néanmoins, rien n’assure que ce texte sera ensuite inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, préalable à son adoption définitive. Le cas échéant, les troupes macronistes ont reçu ce qui ressemble fort à une consigne de vote de la part du président de la République.
«Idéologie mortifère» ou «chemin vers l’égalité» ?
Dans l’Aisne, Emmanuel Macron avait donné le ton lundi midi, en défendant «les fondements» de la langue, «les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe» et en invitant à «ne pas céder aux airs du temps». «Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n’a pas besoin d’ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible», avait ajouté le chef de l’Etat dans une offensive peu masquée envers le fameux «point médian», l’un des pans de l’écriture inclusive.
Le texte de la sénatrice Les Républicains Pascale Gruny s’y attaque frontalement et va même plus loin en interdisant aussi les «mots grammaticaux» constituant des néologismes tels que «iel», une contraction de «il» et «elle», ou «celleux», contraction de «celles» et «ceux». «L’écriture inclusive affaiblit la langue française en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner», a-t-elle attaqué, son collègue Etienne Blanc (LR) dénonçant lui une «idéologie mortifère».
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En réponse, les écologistes et les socialistes ont fait part de leur indignation. «La droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires», s’est offusqué le sénateur socialiste Yan Chantrel. «Vouloir figer la langue française, c’est la faire mourir». «Quand on parle de l’écriture inclusive, on parle du chemin vers l’égalité femmes-hommes», a plaidé l’écologiste Mathilde Ollivier.
Le clivage a même dépassé le Palais du Luxembourg. La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a expliqué sur le réseau X (ex-Twitter) vouloir «protéger» la langue française «contre le wokisme dont l’écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation». «La langue française est une créolisation réussie» et elle «appartient à ceux qui la parlent !», a rétorqué Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise.
La ministre de la Culture ni favorable, ni défavorable
De son côté, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, a jugé quelques mesures «excessives» sur l’extension aux contrats privés, et estimé que le «rôle» de l’Etat et du législateur n’était «pas d’être une police de la langue mais de garantir l’égalité devant la langue». Tout en prenant soin de s’adresser à «Madame le sénateur Gruny», elle a rendu un «avis de sagesse» sur le texte du Sénat, ni favorable ni défavorable, rappelant que deux circulaires encadrent déjà cette pratique dans les textes publiés au Journal officiel (circulaire d’Edouard Philippe en 2017) et dans l’enseignement (circulaire de Jean-Michel Blanquer en 2021).
Les débats ont révélé plusieurs désaccords. Alors que, selon le texte du Sénat, l’écriture «dite inclusive» désigne «les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine», la droite assure qu’il resterait possible d’utiliser la «double flexion», qui vise à décliner le pendant féminin d’un mot, comme «les sénateurs et les sénatrices» au lieu de «les sénateurs». Le socialiste Yan Chantrel a, lui, estimé que la rédaction actuelle du texte rendrait caduques toutes les pièces d’identité éditées sous l’ancien format, où figure la mention «né(e) le» pour la date de naissance. Ce que la droite a nié.