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Justice

Gallimard défend l’écrivain Kamel Daoud, accusé d’avoir volé l’histoire d’une femme pour écrire «Houris»

La crise entre la France et l'Algériedossier
Poursuivi en France et en Algérie, après qu’une femme l’accuse d’avoir volé son histoire pour écrire son roman, le prix Goncourt 2024 dénonce «une forme de persécution judiciaire». Dans un communiqué ce mardi 13 mai, la maison d’édition conteste également ces accusations.
L'écrivain franco-algérien Kamel Daoud, le 11 décembre 2024 à Paris. (Denis Allard/Libération)
publié le 13 mai 2025 à 8h58
(mis à jour le 13 mai 2025 à 16h15)

Visé par deux mandats d‘arrêt internationaux émis par l’Algérie et une plainte en France, Kamel Daoud a dénoncé lundi 12 mai dans le Figaro «une forme de persécution judiciaire». L’écrivain est accusé par une femme d‘avoir volé son histoire pour son roman Houris, lauréat du prix Goncourt en 2024. Mardi 13 mai, la maison d‘édition Gallimard publie un communiqué dans lequel elle dénonce des «parallèles forcés ou inexacts».

Dans les colonnes du Figaro, Kamel Daoud a estimé que ces poursuites étaient «une façon de l’enfermer dans un labyrinthe de procédures». La justice algérienne a en effet lancé deux mandats d‘arrêt internationaux contre l’auteur et son épouse afin de les faire juger pour violation de la vie privée d‘une plaignante algérienne, qui les accuse d‘avoir utilisé le récit de sa vie pour Houris (Gallimard).

Cette plaignante, Saâda Arbane, est une rescapée d‘un massacre pendant la décennie noire en Algérie, tourmentée par la guerre civile. Dans son assignation, qui est appuyée par de nombreuses attestations, Saâda Arbane demande 200 000 euros de dommages et intérêts ainsi qu’une publicité de la condamnation éventuelle car un «caractère fortuit» de la ressemblance est «totalement impensable». Le texte affirme que la plaignante a été suivie entre 2015 et 2023 en consultation par une psychiatre devenue épouse de Kamel Daoud en 2016, Aicha Dahdouh.

Derrière cette procédure judiciaire, «je ne cherche pas à censurer un écrivain, je cherche à faire reconnaître un préjudice réel et très grave», a-t-elle expliqué dans un entretien accordé dimanche 11 mai à l’AFP.

Apprenant être visé par ces mandats d‘arrêt, Kamel Daoud avait aussitôt indiqué par la voix de son avocate qu’il allait les contester auprès d‘Interpol. Une procédure civile pour le même motif est en cours devant le tribunal judiciaire de Paris. Une première audience de procédure a eu lieu mercredi 14 mai et la prochaine aura lieu le 10 septembre.

«Une histoire publique»

Gallimard, sa maison d‘édition, a dénoncé dans un communiqué le 13 mai les «parallèles forcés ou inexacts publiquement revendiqués (qu’il s’agisse de tatouages, d‘un quartier, d‘une plage ou d‘un lycée d‘Oran ou encore d‘un avortement…) traduisent en réalité une déformation de l’histoire du livre et ne pourront transformer ”Houris“ en une biographie ou une autofiction».

Cette «oeuvre d‘imagination» est fondée sur «une intrigue», des «personnages» et des «événements empruntés au vécu de Kamel Daoud et à des faits historiques et criminels connus», soutient encore Gallimard. «Ces sources d‘inspiration propres à tout romancier sont libres en France, selon une jurisprudence plus que séculaire, et ne relèvent pas du domaine de la vie privée», a-t-on encore ajouté.

Kamel Daoud avait en effet affirmé mi-décembre sur France Inter que «tout le monde connaît [cette] histoire en Algérie, et surtout à Oran. C’est une histoire publique». «Le fait qu’elle se reconnaisse dans un roman qui ne la cite pas, qui ne raconte pas sa vie, qui ne raconte pas les détails de sa vie, je suis désolé», avait poursuivi l’écrivain.

Son avocate, Me Jacqueline Laffont, fait ce mardi 13 mai auprès de l’AFP un parallèle avec le sort de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, détenu à Alger depuis novembre. Elle dénonce aussi les «attaques médiatiques et judiciaires qui visent, à partir d‘un récit biaisé et d‘une présentation inexacte des faits, à discréditer le travail d‘écrivain (de son client), la probité de ses proches et l’intégrité de son œuvre».

«Contrairement à ce que Saâda Arbane soutient, “Houris” est une œuvre de fiction, fondée sur un travail d‘imagination, de création littéraire, mais également de recoupement de témoignages et de faits historiques liés à la guerre civile algérienne, dont Kamel Daoud a été le témoin et qu’il a traités en sa qualité de journaliste», dit Me Laffont.

L’avocate assure que l’histoire de Saâda Arbane avait été «rendue publique par sa propre mère, était déjà connue avant la publication du roman», qu’elle n’est «malheureusement pas la seule survivante mutilée de la guerre civile algérienne […] ni la seule à avoir échappé à une tentative d‘égorgement», et encore qu’Houris n’est pas le fruit d‘une «violation du secret médical» de Saäda Arbane.

Houris, qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre se déroulant en partie à Oran sur le destin d‘Aube, jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999.

Le roman ne peut pas être édité en Algérie car il tombe sous le coup d‘une loi interdisant tout ouvrage sur la décennie noire, qui a eu lieu entre 1992 et 2002 et a fait au moins 200 000 morts, selon des chiffres officiels.

Mise à jour le 13 mai à 15 heures 40, avec ajouts des réactions de Gallimard et de l’avocate de Kamel Daoud