Il vient tout juste d’enfiler son costume de Premier ministre. Nommé en express après la chute lundi de son prédécesseur François Bayrou, Sébastien Lecornu a pris ses fonctions ce mercredi 10 septembre ; une journée qui secoue. Et il irrite déjà les sympathisants parisiens du mouvement Bloquons tout.
Il suffit d’évoquer le nom de ce proche historique d’Emmanuel Macron devant Suzanne pour que l’aide-soignante à la retraite roule des yeux. «Quelle surprise !» persifle-t-elle. A 75 ans, elle est revenue à l’hôpital Tenon (XXe arrondissement) – où elle a passé une large partie de sa carrière –, sur l’un des points de rassemblement désignés par les bloqueurs. Elle dit ne «rien» attendre de ce nouveau Premier ministre passé par les rangs de l’UMP, avant de rejoindre le Président en 2017 pour ne plus le quitter : «Tout ce que j’espère, c’est qu’aujourd’hui ça bouge et qu’il y ait des blocages», souffle Suzanne, désabusée.
«Biscornu, t’es foutu !»
De l’autre côté des grilles de l’établissement hospitalier, Amaury considère que la récente séquence politique «a vraiment conduit à un ras-le-bol», avec «une gauche qui a largement été représentée aux législatives» l’année dernière, mais qui est «laissée sur le côté». Ce médecin de 34 ans au chignon bien tiré – qui ne travaille pas à l’hôpital Tenon – juge que les éphémères gouvernements Barnier et Bayrou, en défendant l’austérité, ont attisé «beaucoup de rancœur». L’ancien ministre des armées qui pose ce mercredi ses valises au 57 rue de Varenne, c’est «un nouveau couperet pour le monde de la gauche et le monde citoyen», résume-t-il. Régulièrement mobilisé, notamment lors de la contestation de la réforme des retraites, le trentenaire affirme que «l’époque de la dignité politique, celle où on prenait en compte la rue, n’existe plus».
Sur un autre point de rassemblement parisien, devant le lycée Voltaire (XIe arrondissement), Nicolas a déjà trouvé un surnom au nouveau chef du gouvernement : «On sait très bien que Macron veut continuer à mener sa politique en nommant ‘Biscornu’». Et d’engager un chant sur le piquet de grève, au son de «Biscornu, t’es foutu ! Le pouvoir est dans la rue». Ce militant syndical et enseignant dans l’établissement dénonce entre autres le plan budgétaire défendu ces dernières semaines par François Bayrou : «44 milliards d’euros d’économies sur les budgets sociaux, alors que les riches s’empiffrent !»
«Tapis rouge à l’extrême droite»
Si certains voient une symbolique dans le choix d’Emmanuel Macron de nommer son ministre des Armées – notamment dans le contexte géopolitique actuel –, Aariss estime de son côté que le président «déroule le tapis rouge à l’extrême droite». En juillet 2024, Libé révélait en effet l’existence de dîners secrets entre la macronie et le RN, en présence de Sébastien Lecornu. «Je ne m’attendais pas à ce qu’on copine de façon presque publique avec l’extrême droite», renchérie Géraldine. Cette graphiste de 49 ans le dit d’elle-même, elle n’est ni très politisée, ni très mobilisée. Par contre, la politique macroniste la «choque énormément». Mais subsiste une petite «lueur d’espoir», quant au nouveau Premier ministre : plusieurs politiques louent sa capacité de dialogue. «S’il peut faire au moins ça… Qu’un dialogue soit ouvert vers la gauche», souffle la quadra.
Bastien, lui, enterre déjà d’éventuelles tractations. «C’est un mec de la première heure. Il ne va faire que continuer la même politique et c’est précisément pour ça que les gens sont dans la rue», explique le jeune homme. «On était content que Bayrou et son monde s’en aillent. Je supposais qu’on allait nous consulter à nouveau. Mais avec Lecornu, on prend les mêmes et on recommence», s’énerve de son côté Rachida. En se mobilisant aujourd’hui, elle attend «un changement radical de politique».