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Enquête

Les femmes esclaves des diplomates (3/4) : chez l’ambassadeur du Koweït à l’Unesco, «je pouvais travailler presque vingt-quatre heures de suite»

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De Koweït City à Paris, une Philippine raconte avoir travaillé dans des conditions proches de l’esclavage pour Adam Abdullah Al Mulla, avant d’être brutalement remerciée alors qu’elle était souffrante. En parallèle d’une procédure au pénal, l’ancienne domestique affrontera son ex-employeur lors d’une audience aux prud’hommes en avril 2025.
Aux policiers qui l’ont entendue après son dépôt de plainte, Lani a décrit un quotidien éreintant, sans aucun repos ou presque pendant dix-neuf ans. (Aline Deschamps/Libération)
publié le 11 octobre 2024 à 11h00

Les femmes esclaves des diplomates

Plusieurs domestiques de diplomates d’ambassades parisiennes les accusent d’esclavage moderne. Pour la première fois, elles témoignent. «Libération» a enquêté sur les conditions de vie et les violences qu’elles disent avoir vécues au domicile de leurs employeurs, protégés par leur immunité diplomatique.

Durant les dix-neuf années passées chez la famille koweïtienne Al Mulla, entre 2003 et 2021, Lani (1), 47 ans, a tout connu : les premiers mots des quatre enfants nés en 1999, 2001, 2006 et 2007, leurs chagrins, leurs réussites, leurs anniversaires et leurs diplômes. La domestique philippine reconnaît qu’à la longue, elle est devenue «comme leur mère». «Ils me traitaient comme telle en tout cas. C’est moi qui les ai élevés depuis leur naissance. Je devais les nourrir, les emmener à l’école, et en plus de ça je devais faire le ménage», résume-t-elle à Libération. Ce lien quasi filial l’a poussée à suivre la famille à Paris en 2018 quand le père, Adam Abdullah Al Mulla, a été nommé ambassadeur et délégué permanent du Koweït auprès de l’Unesco – il a quitté son poste le 30 septembre dernier. Une fidélité qui l’a longtemps empêchée de prendre la fuite malgré des conditions de vie proches de l’esclavage. Aujourd’hui, lorsqu’elle jette un regard sur ces deux décennies passées dans ce foyer, elle livre ce constat froid : «Je pense qu’ils ne m’ont vraiment pas respectée. Chez eux, je n’étais pas libre.»

Le 8 septembre 2021, six mois après s’être échappée du grand appartement de l’avenue Foch où ils logeaient, la Philippine a décidé de porter plainte au commissariat du XVIe arrondissement de Paris pour «traite des êtres humains» contre ses anciens employeurs. En théorie, l’immunité diplomatique les protège contre ces faits, mais une enquête est toujours en cours s