Les femmes esclaves des diplomates
Plusieurs domestiques de diplomates d’ambassades parisiennes les accusent d’esclavage moderne. Pour la première fois, elles témoignent. «Libération» a enquêté sur les conditions de vie et les violences qu’elles disent avoir vécues au domicile de leurs employeurs, protégés par leur immunité diplomatique.
Durant les dix-neuf années passées chez la famille koweïtienne Al Mulla, entre 2003 et 2021, Lani (1), 47 ans, a tout connu : les premiers mots des quatre enfants nés en 1999, 2001, 2006 et 2007, leurs chagrins, leurs réussites, leurs anniversaires et leurs diplômes. La domestique philippine reconnaît qu’à la longue, elle est devenue «comme leur mère». «Ils me traitaient comme telle en tout cas. C’est moi qui les ai élevés depuis leur naissance. Je devais les nourrir, les emmener à l’école, et en plus de ça je devais faire le ménage», résume-t-elle à Libération. Ce lien quasi filial l’a poussée à suivre la famille à Paris en 2018 quand le père, Adam Abdullah Al Mulla, a été nommé ambassadeur et délégué permanent du Koweït auprès de l’Unesco – il a quitté son poste le 30 septembre dernier. Une fidélité qui l’a longtemps empêchée de prendre la fuite malgré des conditions de vie proches de l’esclavage. Aujourd’hui, lorsqu’elle jette un regard sur ces deux décennies passées dans ce foyer, elle livre ce constat froid : «Je pense qu’ils ne m’ont vraiment pas respectée. Chez eux, je n’étais pas libre.»
Lire les épisodes précédents
Le 8 septembre 2021, six mois après s’être échappée du grand appartement de l’avenue Foch où ils logeaient, la Philippine a décidé de porter plainte au commissariat du XVIe arrondissement de Paris pour «traite des êtres humains» contre ses anciens employeurs. En théorie, l’immunité diplomatique les protège contre ces faits, mais une enquête est toujours en cours s