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Chiffres alarmants

Les violences éducatives ordinaires se maintiennent dans la sphère familiale, d’après un nouveau baromètre de la Fondation pour l’enfance avec l’Ifop

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Huit parents sur dix avouent avoir eu recours à au moins une violence éducative ordinaire dans la semaine précédant l’enquête. L’étude alerte aussi sur les violences envers les enfants dans le sport, à l’approche des Jeux olympiques.
«Les violences éducatives ordinaires peuvent avoir un impact sur les compétences cognitives, sociales et émotionnelles de l’enfant», précise la directrice de la Fondation pour l’enfance, Joëlle Sicamois. (Aimée Thirion/Libération)
par Jeanne Toutain
publié le 6 juin 2024 à 19h06

Peut-on entraîner un enfant sans lui crier dessus ? Pas selon certains parents observés en bordure des terrains de football, si déterminés à faire de leur progéniture le prochain Kylian Mbappé que leur voix porte parfois plus que celle de l’entraîneur. Plus globalement, entraîner un enfant sans jamais crier est «difficile» voire «impossible» pour près d’un parent sur deux, d’après le nouveau baromètre sur les violences éducatives ordinaires (VEO) de la Fondation pour l’enfance et de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), présenté lors d’une conférence de presse ce jeudi 6 juin à Paris.

C’est la deuxième fois que la Fondation pour l’enfance et l’Ifop s’emparent du sujet, après un premier rapport en 2022. L’objectif de l’étude, réalisée en avril auprès de 1 007 parents d’enfants de 0 à 10 ans, est d’abord de sensibiliser aux VEO. A quoi correspond cette expression ? «Il s’agit des violences verbales, psychologiques ou physiques» utilisées par les parents dans leurs méthodes éducatives, explique la directrice de la Fondation pour l’enfance, Joëlle Sicamois. De la fessée aux cris en passant par la punition au coin, ces pratiques sont souvent culturellement admises. On parle ainsi de violences «ordinaires». «A terme, elles peuvent avoir un impact sur les compétences cognitives, sociales et émotionnelles de l’enfant», précise Joëlle Sicamois.

«Il est urgent d’instaurer une éducation sans violence»

«Nous remarquons dans notre nouveau baromètre que les parents sont mieux informés face aux VEO», constate Marion Chasles-Parot, directrice d’expertise à l’Ifop. Quelque 79% de ceux interrogés, soit près de huit sur dix, affirment savoir ce que sont les VEO. Une hausse de 7 points par rapport à 2022. «Mais, même si la parole se délie sur le sujet, les pratiques se maintiennent», regrette Marion Chasles-Parot. Voire augmentent. Par exemple, le nombre de parents utilisant la menace «tu vas finir par comprendre pourquoi tu pleures» est passé de 19% en 2022 à 25% aujourd’hui.

Les violences physiques persistent. Ainsi, un quart des parents ont donné une fessée à leur enfant dans la semaine avant l’enquête. 21% l’ont bousculé et 16% l’ont giflé. «Il est urgent d’instaurer dans notre pays une éducation sans violence», soutient Joëlle Sicamois. Une loi a interdit les VEO en 2019, mais sans avoir l’effet dissuasif escompté. 60% des parents interrogés considèrent ce texte législatif comme une «intrusion de l’Etat dans les affaires privées».

A l’approche des Jeux olympiques, la Fondation pour l’enfance et l’Ifop ont intégré un nouveau volet à leur baromètre : les VEO dans le sport. «Car les violences n’épargnent aucun domaine», assène Sabrina Sebaihi. La députée écologiste était invitée à s’exprimer lors de la conférence de presse en tant que rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances dans le sport français. «Un enfant sur sept est victime de violences dans le sport», affirme-t-elle.

Ces violences ne sont pas tabou. Le dialogue est même plutôt la règle entre les enfants qui pratiquent un sport et leurs parents : 90 % des papas et des mamans discutent des entraînements avec leur bambin. Plus d’un tiers d’entre eux rapporte des comportements inappropriés dans le cadre sportif. Ce sont souvent des violences verbales (19 %).

«Rapport à soi abîmé»

Des cas graves de violences physiques ou sexuelles sont aussi signalés (respectivement 11% et 9%). Pour autant, un tiers des répondants semble cautionner ces VEO : c’est le cas d’un parent sur deux qui estime qu’il est difficile d’entraîner un enfant sans lui crier dessus. 36% pensent que, pour faire progresser un jeune dans son sport, il faut le forcer à pratiquer et lui faire ressentir une pression régulière.

Ces chiffres sont alarmants pour Emma Oudiou, ambassadrice de la Fondation pour l’enfance et ancienne athlète de haut niveau. «La culture sportive permet grandement l’emprise et le passage à l’acte», déplore l’ex-championne de demi-fond. En 2014, lorsqu’elle avait 19 ans, Emma Oudiou dit avoir elle-même été victime de violences sexuelles de la part d’un entraîneur. «C’était lors d’une compétition internationale aux Etats-Unis, j’étais coupée de ma famille et à l’autre bout du monde. Mon seul référent, c’était lui.» La jeune femme, qui a porté plainte, se souvient de son état de vulnérabilité à l’époque. «Dans cette discipline d’athlétisme où la douleur est valorisée, je me sentais dépossédée de ce corps qui ramenait des médailles, le mien.» C’est ce «rapport à soi abîmé» qui permet les dérives, a-t-elle souligné durant la conférence de presse.

L’ancienne athlète insiste sur le rôle primordial des parents pour faire face à ce genre de violences. «Leur présence et leur écoute sont vraiment des prérequis pour se soigner», assure-t-elle. «Avec le baromètre de 2022, nous avons franchi la première étape d’identification des comportements violents, indique Marion Chasles-Parot. Maintenant, il faut absolument continuer à sensibiliser les parents.» La bataille contre les VEO est loin d’être terminée.