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Libération
Mare nostrum

A l’arrivée de l’«Ocean Viking» à Toulon : «On ne peut pas laisser des êtres humains mourir en mer»

Migrants, l'hécatombedossier
Bloqué en mer depuis plusieurs semaines avec 230 migrants à son bord, le navire de SOS Méditerranée a accosté dans le port militaire varois ce vendredi matin.
L'arrivée de l'«Ocean Viking» dans le port de Toulon, le 11 novembre. (Christophe Simon/AFP)
par Samantha Rouchard, envoyée spéciale à Toulon
publié le 11 novembre 2022 à 8h39
(mis à jour le 11 novembre 2022 à 17h13)

Au parc de la Tour Royale, à l’entrée de la rade de Toulon, journalistes, pêcheurs et badauds matinaux s’étaient positionnés ce vendredi matin pour voir arriver l’Ocean Viking sous escorte militaire. Après vingt jours d’errance en mer, essuyant le refus de l’Italie de l’accueillir, le navire de l’ONG SOS Méditerranée a finalement accosté à 8h50 au port militaire de la ville du Var.

«C’est un petit événement à Toulon», note Michel, la soixantaine, habitant du quartier. Jumelles sur le nez, il parvient à voir quelques-uns des 231 passagers du navire positionnés sur le pont et s’interroge : «Je compatis car on ne peut pas laisser des êtres humains mourir en mer. Mais c’est bien beau, qu’est-ce qu’on va faire de ces migrants après ?» Suivant du regard le bateau entrant dans le port, Matthias, 45 ans, lui se dit simplement «ému». A quelques mètres de là, sur un banc, Alain, 69 ans et ses comparses retraités annoncent la couleur : «Je vous préviens, vous vous approchez d’un banc FN, là !».

Comme habituellement, ce matin ils sont venus en bord de rade pour pêcher mais les télés se sont installés sur leur spot. Ça les énerve un peu mais pas autant que l’arrivée de l’Ocean Viking «et de tous ces étrangers». Pour Alain, «les bateaux comme ça, ça aide juste à créer du racisme. C’est une honte.» Le retraité craint que le «à titre exceptionnel» annoncé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour justifier l’accueil de l’Ocean Viking en France ne deviennent «monnaie courante». «Qu’on ne nous parle pas d’humanité, le sujet là est politique», glisse-t-il.

Un tiers des demandeurs d’asile resteront en France

Du côté de la préfecture du Var, qui a donné une conférence de presse dans la foulée, on précise que, dans la nuit, quatre pompiers et membre du Samu ont été «projetés» sur le navire pour faire les premiers diagnostics et préparer son arrivée. «Les services de l’Etat ont mobilisé au total 600 personnes pour accueillir les passagers de l’Ocean Viking», précise le préfet du Var Evence Richard, des effectifs mêlant forces de l’ordre, douaniers, pompiers, agents administratifs de l’Ofpra et de l’Ofii.

Les exilés, actuellement sur le site militaire, seront déplacés par bus au fur et à mesure de la journée pour réaliser des examens sanitaires et de sécurité. N’étant pas autorisés à pénétrer sur le territoire national, ils se retrouvent «dans l’obligation de demeurer» dans la zone d’attente sous le contrôle des services de la police aux frontières, installée dans un centre de vacances réquisitionné sur la presqu’île de Giens, sur la commune de Hyères, a précisé Eric Jalon, directeur général des étrangers en France.

Les personnes prises en charge y resteront une vingtaine de jours le temps de l’étude de leur situation. C’est sur cette période que les relocalisations seront faites. Un tiers des demandeurs d’asile resteront en France, et les deux tiers restants - 175 personnes - seront accompagnés vers onze pays d’accueil, a précisé vendredi après-midi le ministère de l’Intérieur, citant l’Allemagne qui doit en accueillir environ 80, le Luxembourg, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie, la Lituanie, Malte, le Portugal et l’Irlande, la Finlande et la Norvège. Les mineurs non accompagnés présents sur le bateau vont quant à eux être confiés à l’aide sociale à l’enfance.

La décision de faire débarquer les migrants en France a été prise jeudi 10 novembre par le gouvernement français après un bras de fer diplomatico-politique avec l’Italie de Georgia Meloni. Paris a assorti cette mesure humanitaire en faveur de l’Ocean Viking d’une suspension de l’accueil prévu cet été de 3 500 réfugiés actuellement situés en Italie, qui devaient être pris en charge par la France au nom de la solidarité européenne.

«Ce qui s’est passé est inquiétant. L’Italie s’est affranchie du droit international. C’est une rupture de confiance», a insisté la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe Laurence Boone, interrogée vendredi sur France Info. Pour elle, «on peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas une instrumentalisation de ces vies humaines».

RN et Reconquête en toupie

«Aujourd’hui notre pays par la voix de son dirigeant a cédé. C’est donc le début de toute une série de bateaux d’ONG», a affirmé Marine Le Pen depuis Hénin-Beaumont, appelant à renvoyer vers leur pays de départ les exilés.

Devant les portes de l’arsenal de Toulon, encadré par les ex-RN Marion Maréchal Le Pen et Nicolas Bay, Eric Zemmour, qui avait donné rendez-vous à ses forces vives, a dénoncé vendredi après-midi «un événement gravissime». «C’est un signe que nous donnons à tous les migrants, à tous les passeurs […] désormais, alors que l’Italie ferme peu à peu ses ports, nous, on les ouvre, a-t-il critiqué, dans sa logorrhée xénophobe habituelle. Le vrai sujet c’est : est-ce que l’on veut que toute l’Europe devienne l’Afrique ? Si on le veut, on le dit.» «Liberté de circulation, les frontières tuent !», hurle une militante anti extrême-droite en réponse.

Pascaline, 55 ans, se contente, elle, d’agiter son drapeau tricolore en buvant les paroles du polémiste. «C’est quand même insensé que ces étrangers débarquent en France et qui plus est dans un port militaire où même un Français n’a pas le droit de pénétrer sans autorisation ! Moi je paye pas d’impôts pour sauver ces gens-là», insiste la Toulonnaise. «C’est pas qu’on n’est pas humaines, mais on n’a plus l’argent pour se permettre d’accueillir ces migrants. En plus ils croient qu’ici c’est l’eldorado ! Mais quand ça ne va pas bien dans son pays, on y reste, pour le défendre», juge Marie, 65 ans. Patrick, 77 ans, compare de son côté SOS Méditerranée à «des passeurs» et les passagers de l’Ocean Viking à des «touristes-naufragés volontaires» venus pour «nous envahir et violer nos filles». Une offensive de l’extrême droite qui intervient à quelques semaines de l’examen au Parlement d’un projet de loi sur l’immigration.

La gauche et les écologistes ont pour leur part salué une «décision digne des valeurs» de la France. SOS Méditerranée, pour qui un débarquement en France «est une situation qui ne doit pas se reproduire», compte repartir en mer rapidement. «Il y a eu plus de 20 000 morts depuis 2014 dans la mer Méditerranée, rappelle le directeur des opérations, Xavier Lauth. On n’accepte pas que cette mer devienne un cimetière.»

Mise à jour à 17 heures, ajout d’éléments de reportage à Toulon, ainsi que la déclaration de Xavier Lauth.