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Analyse

«10 000 logements intermédiaires» : les logements sociaux encore absents des annonces ministérielles

Le gouvernement a annoncé dédier près d’un milliard d’euros pour les logements destinés aux classes moyennes. La Fondation Abbé-Pierre et la mairie de Paris s’inquiètent de l’absence totale de mesures concernant les classes populaires.
Vue d’ensemble du quartier de la Cartoucherie qui se développe dans l’ouest de Toulouse, le 13 octobre 2022. (Arnaud Paillard/Hans Lucas. AFP)
publié le 15 mars 2024 à 13h50

«De l’offre, de l’offre et encore de l’offre.» Depuis le Palais-Bourbon jusqu’à Cannes, le ministre chargé du Logement, Guillaume Kasbarian, a scandé inlassablement ces mots cette semaine, tout en multipliant les annonces. Aux côtés du ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, jeudi 14 mars, ils ont annoncé le financement de 10 000 logements intermédiaires dans les zones tendues dès cette année, à hauteur d’un milliard d’euros. Présent mardi à l’ouverture du salon international des professionnels de l’immobilier à Cannes, le ministre du Logement avait déjà dévoilé dix mesures «pour accélérer et simplifier la construction de logements».

C’est un «coup de boost du LLI [logement locatif intermédiaire, ndlr], un très beau produit pour la classe moyenne», a affirmé Guillaume Kasbarian lors d’une conférence de presse jeudi. Avec leurs loyers réglementés, mais plus élevés qu’en HLM, ces logements intermédiaires permettront à «celles et ceux qui travaillent, qui sont un peu au-delà de 2 000, 2 500, 3 000 euros de revenus» de bénéficier d’un logement à un tarif inférieur à celui du marché de 10 à 15 %. L’offre répond «à un besoin de la classe moyenne, d’une écrasante majorité de Français», a-t-il soutenu.

«Renoncement majeur»

Des logements intermédiaires sont déjà en construction, 15 000 par an, précise un communiqué de presse publié jeudi. Les 10 000 logements supplémentaires annoncés seront financés par quatorze assureurs (400 millions d’euros), par la Caisse des dépôts et consignations (250 millions) et par les fonds propres de l’Etat, qui ambitionne de doubler d’ici 2026 la production de logements intermédiaires.

Cette stratégie, pas nouvelle, confirme la direction exposée par le Premier ministre, Gabriel Attal, lors de sa déclaration de politique générale le 30 janvier. L’idée : assouplir la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) qui fixe à 25 % le quota de logements sociaux à respecter pour chaque commune, en incluant les logements intermédiaires. Dans la foulée, 21 maires s’étaient empressés de dénoncer «un renoncement majeur à la politique de production du logement social» dans une lettre ouverte, sans faire rétropédaler l’exécutif. Un projet de loi sur au logement, qui prévoit de remanier la loi SRU, sera présenté dans les semaines qui viennent, avec un examen fin juin, a confirmé jeudi le ministre du logement.

L’utilité de la construction de logements supplémentaires fait l’unanimité dans le secteur, y compris pour les classes moyennes. «Mais là, il y a une volonté de faire du logement intermédiaire à la place du logement social, et non en plus ! Aucun fonds supplémentaire n’est dégagé pour le logement social, les coupes budgétaires sont extrêmement fortes depuis 2017», pointe Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre.

2,6 millions de demandeurs de logement social

Si «les logements sociaux s’adressent aussi aux vraies classes moyennes, qui gagnent 1 500, 2 000 euros par mois», souligne-t-il, les besoins sociaux prioritaires concernent toutefois les plus démunis. «Trois-quarts des 2,6 millions de demandeurs en attente d’un logement social gagne le smic tout au plus. Répondre à ces besoins sociaux par un logement intermédiaire, c’est un cadeau pour les ménages des classes moyennes supérieures», dénonce-t-il, s’inquiétant du projet d’assouplissement de la loi SRU. «Un couple avec deux enfants sur Lille gagnant jusqu’à 7 500 euros par mois peut par exemple prétendre à un logement intermédiaire», rappelle-t-il avant de conclure : «Quand on fait du logement, on choisit le type de couche sociale qu’on priorise.»

Beaucoup plus de logements sociaux devraient être la priorité du gouvernement, acquiesce Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti. «Il faudrait déjà rendre plus de moyens aux bailleurs sociaux, à qui l’Etat retire 1,3 milliard chaque année», souligne-t-il. Et passer la seconde, tandis qu’environ 85 000 logements sociaux ont été construits en 2023, bien loin des 250 000 annoncés par le gouvernement en 2021. L’annonce du gouvernement sur les 10 000 logements intermédiaires le désole. «A l’échelle du besoin et de la crise du logement, il manque au moins un zéro !» déplore Jacques Baudrier. Selon une étude de l’Union sociale pour l’habitat, le représentant des HLM, il manquerait en effet plus de 500 000 logements à construire chaque année d’ici 2040, dont 198 000 logements sociaux par an. «Au total, cette année, 250 000 logements devraient être construits, calcule Jacques Baudrier. Donc il va y avoir un déficit de 250 000 logements. Et on annonce une grande mesure pour 10 000 [logements intermédiaires] ?» raille-t-il.

Des solutions existent pourtant pour changer d’échelle, plaide l’élu, notamment pour les zones en tension touristique comme Paris, la Côte d’Azur, la côte basque ou la Bretagne : la mobilisation des logements vides et des résidences secondaires. «Leur nombre augmente à une vitesse folle, plus de 7 000 chaque année à Paris, plaide-t-il. Libérer ces logements permettrait de libérer 100 000 logements rien qu’à Paris, de 300 000 à 500 000 en France !» Après l’annonce de 30 000 nouveaux logements d’ici trois ans par Gabriel Attal fin janvier, le «choc d’offre» vanté par le gouvernement semble lointain.