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Justice

A Marseille, prison ferme pour un marchand de sommeil

Un propriétaire de logement insalubre a été condamné ce mercredi à de la prison ferme, signe de l’engagement pris par le parquet de la ville à lutter contre l’habitat indigne.
Dans l'’affaire de la rue d’Aubagne, l’information judiciaire attaque sa troisième phase, avec pour l’instant une mise en examen. Pour le procès, la cinquantaine de plaignants s’arme de patience, une dizaine d’années environ. (Nicolas Tucat/AFP)
par Samantha Rouchard, correspondance à Marseille
publié le 7 juillet 2021 à 19h25

Madame E., cheveux grisonnants, toute frêle dans sa veste rose en velours côtelé, trop large pour elle et trop chaude en ce matin de juillet, esquisse un timide sourire. Dans la salle des pas perdus, elle prononce à voix basse, s’excusant presque d’être là, quelques mots : «Je suis contente oui. C’était pas normal tout ça.» La 6e chambre du tribunal correctionnel de Marseille vient de rendre son délibéré : son propriétaire, Chadi Younes, ostéopathe marseillais, a été reconnu coupable et vient d’être condamné à deux ans de prison dont un an ferme – sous bracelet électronique – pour mise en danger de la vie d’autrui, ainsi qu’à 50 000 euros d’amende et à l’interdiction d’acquérir un bien immobilier pendant les cinq ans à venir. La SCI Celiam, dont il est le sociétaire majoritaire, a été condamnée à 100 000 euros d’amende. Les cinq victimes constituées parties civiles recevront chacune 8 000 euros au titre du préjudice subi.

En octobre 2018, Madame E. a été contrainte, comme quatre autres locataires du 44 rue Saint-Pierre dans le Ve arrondissement de Marseille, à quitter son logement insalubre suite à l’effondrement d’une partie de la toiture de l’immeuble. Le propriétaire a, par la suite, mis aux ordures tous les biens de ses locataires. Depuis, son petit revenu de 700 euros d’aide ménagère ne permet pas à Madame E. de retrouver un appartement. Et à plus de 50 ans, elle a dû retourner vivre chez ses parents, dans les quartiers nord de la ville.

Pendant son délibéré, la présidente du tribunal, Céline Ballerini, n’a pas mâché ses mots à l’encontre du marchand de sommeil : «Ce n’est même plus de la négligence en ce qui vous concerne. Ça s’est transformé en actes suivis, car il a été considéré par le tribunal que vous avez délibérément sorti les meubles et refait une partie des logements, en sorte de faire disparaître les conditions lamentables dans lesquelles les locataires vivaient.» Le tribunal a aussi prononcé l’obligation de publication de la décision dans la presse quotidienne locale à la charge du condamné.

Mise en danger d’autrui

«La peine prononcée est un message fort envoyé aux propriétaires indélicats et la demande de publication montre la volonté de donner une audience à cette décision», se réjouit Aurélien Leroux, avocat des parties civiles, qui précise que ses clients recherchaient avant tout «la reconnaissance de leur statut de victime».

Il note que, dans ce genre d’affaires, la justice a souvent du mal à prouver l’aspect délibéré de la mise en danger d’autrui : «Les gens n’ont pas le réflexe de prendre des photos, et les faits disparaissent lorsque le propriétaire met les locataires dehors.» Il regrette tout de même qu’il n’y ait pas eu confiscation de l’immeuble concerné comme le procureur, lors de ses réquisitions, l’avait laissé à l’appréciation du juge. «Symboliquement, ça aurait été important», ajoute l’avocat. Mais cette peine est rarissime, tout simplement car l’Etat n’aurait pas vraiment envie de gérer des bâtiments insalubres et encombrants, selon un magistrat.

Lors du procès, le 21 juin dernier, l’avocat du prévenu avait demandé la relaxe, précisant à la cour qu’il ne voulait pas que l’on fasse de son client «un symbole». Et de préciser lors de sa plaidoirie : «Cessons de parler de la rue d’Aubagne, ça n’a rien à voir !» Pourtant, depuis le 5 novembre 2018, et les 8 morts causés par l’effondrement des immeubles du centre-ville, les infractions relatives à l’habitat indigne font l’objet d’une attention particulière de la part du parquet de Marseille. Un Groupe local de traitement de la délinquance dédié à la lutte contre l’habitat indigne a été mis en place, regroupant la préfecture et les collectivités locales, avec un procureur dédié.

A la croisée du juridique et du social

Depuis, 50 enquêtes concernant le non-respect d’un arrêté de péril et 25 enquêtes significatives pour des faits relevant de l’insalubrité ont été ouvertes, précise le dossier de presse du parquet qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Si les associations se réjouissent que les choses avancent enfin, elles s’interrogent tout de même à savoir si le parquet a les moyens financiers d’enquêter. Et pointent du doigt le manque de moyens institutionnels pour accompagner les victimes en justice. «Ce sont souvent des gens très précaires et vulnérables. Il leur faut un accompagnement à la croisée du juridique et du social. Et ce sont les associations qui financent cette prise en charge, seules. C’est un gros point noir», insiste Florent Houdmon, directeur régional de la Fondation Abbé-Pierre.

Dans ce même tribunal, ce mercredi matin, une autre marchande de sommeil récidiviste a aussi écopé d’une peine de prison ferme, 18 mois au total et 10 000 euros d’amendes. Lors de l’audience du 21 juin, cinq autres affaires concernant l’habitat indigne ont quant à elles été renvoyées à 2022, dont une pour cause de dossier d’instruction égaré. Au sujet de l’affaire de la rue d’Aubagne, l’information judiciaire attaque sa troisième phase, avec pour l’instant une mise en examen. Pour le procès, la cinquantaine de plaignants s’arme de patience, une dizaine d’années environ.