Il ne fallait pas toucher à une maman. En bas de la résidence HLM les Chênes, dans le quartier Saint-Charles de Nice, la poubelle a brûlé avant 16 heures mercredi. Quand ils ont appris «sur Snap» qu’une mère de famille allait être expulsée «pour les erreurs de son fils», Anass et ses copains envisageaient de «tout faire péter». C’est finalement plus modéré. Un briquet, du papier, un fumigène : le conteneur est parti en fumée. Pas leur colère. «Ça fait longtemps qu’elle habite ici. Ce n’est pas normal qu’elle paye les erreurs de son fils majeur, argumente l’adolescent de 14 ans, galvanisé par la présence de la presse et la police. En France, si tous les délinquants qui se font attraper ont cette sanction, toutes les mères seraient à la rue.» C’est le sort d’une habitante des Chênes. Son bail a été résilié après la condamnation de son fils de 19 ans. «Une première en France sur ce schéma», selon la ville de Nice. Une communication à tempérer, en réalité.
Tout s’est joué au tribunal. La condamnation pour trafic de stupéfiants du jeune homme remonte au printemps 2020 au pénal, l’ordonnance d’expulsion au 13 juillet 2021 au civil. «Cette famille fait l’objet de plaintes du voisinage pour nuisances sonores, pour dégradations, pour trafic de stupéfiants puis il y a eu une condamnation à dix-neuf mois de prison ferme, indique Anthony Borré, président de Côte d’Azur Habitat, le plus grand bailleur social du département, et premier adjoint (LR) au maire de Nice. Après des procédures de rappel, tous ces éléments conjugués ont conduit à produire devant le tribunal de proximité des documents indiquant le souhait de l’expulsion.»
«Je serai intraitable»
Si des évictions ont déjà été prononcées par des tribunaux français, se basant sur un «trouble de la jouissance» défini par une loi de 1989, la procédure niçoise s’appuie sur le nouveau règlement intérieur qu’a fait adopter Côte d’Azur Habitat à ses 16 000 locataires en octobre 2020. Il conclut à un partenariat d’échanges d’informations avec le préfet et le procureur «dont l’objectif est de renforcer les sanctions contre les locataires se rendant coupable d’incivilités portant atteinte au cadre de vie et à la tranquillité du voisinage». Ainsi, le bailleur est averti par le parquet d’éventuelles condamnations de ses locataires.
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D’après le procureur de la République, le jugement du tribunal de proximité se fonde essentiellement sur les nuisances, les dégradations, les incivilités. Mais Anthony Borré insiste sur la condamnation du fils. Il politise l’affaire : «L’urgence sociale ne suffit pas pour prioriser les dossiers. Je prends en compte la méritocratie. Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne sont pas les meilleurs candidats, expose-t-il. On est responsable des actes de ses enfants et des personnes que l’on héberge sous son toit. Je veux faire savoir à ceux qui trafiquent que je serai intraitable : qu’ils quittent ces quartiers.»
«On tape sur les plus miséreux»
Dans les couloirs du HLM les Chênes, la mère de famille entrouvre la porte. Elle a reçu les lettres pour la future expulsion, elle tentera de faire un recours. Elle semble dépassée par la médiatisation et les ennuis judiciaires. «J’ai fait les papiers avec l’assistante sociale. Il faut que j’explique ma situation, dit cette quinquagénaire d’origine tchétchène, une canne à la main pour soulager son genou. C’est très compliqué. Bien sûr que j’ai peur de rester à la rue.» Sa maîtrise du français rend difficile la compréhension des lettres, sa santé précaire complique ses sorties, son isolement l’éloigne des démarches administratives. L’appartement est son refuge.
«On bafoue les droits de l’homme, l’accès au logement. On tape sur les plus miséreux, on juge avec des regards d’oligarques vis-à-vis d’une population pauvre, s’insurge Zohra Briand, représentante de l’association Droit au logement (DAL06). On se débarrasse des résidents précaires pour libérer l’accès au logement. Le vrai problème, c’est le manque de logements sociaux.» Selon les derniers chiffres du ministère de la transition écologique, «la commune ne remplit pas en 2020 ses obligations en matière de logements sociaux», avec 13,36 % de HLM à Nice au lieu des 25 % imposés par le taux légal. Une situation qui ne s’arrête pas aux frontières niçoises : d’après le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre, 79 % des communes de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur sont carencées. Un «bilan particulièrement désolant» pour l’association.
«C’est au gamin qu’il faut faire la morale»
Les Chênes est un immeuble emblématique du parc HLM niçois. Derrière son imposante façade, Côte d’Azur Habitat y loue 203 logements. Construit en 1973, le bâtiment a été récemment rénové. Le ravalement de façade et l’entretien des parties communes n’empêchent pas les trafics – jusqu’à pousser les habitants à organiser une conférence de presse en juin 2020 pour dénoncer les violences qui en découlent. «D’habitude, quand le papier de l’expulsion est collé à la porte, c’est pour des squats ou des loyers impayés, rapporte un voisin encore incrédule de la décision. Il fallait faire attention avant. Voilà ce qui pendait au nez de la famille.»
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Mère d’une fille de 12 ans, Nadia se met, elle, à la place de sa voisine. «Aucune maman ne souhaite que son fils tourne mal. Les parents sont dépassés par les choses», estime-t-elle. Lina aussi s’identifie à cette dame, elle qui a élevé ses enfants et petits-enfants dans le quartier : «Si mon fils me dit qu’il va boire un café avec des amis, je fais confiance. Mais quand il claque la porte et qu’il va faire un tour, je ne sais pas s’il fait des bêtises, dit-elle. C’est au gamin qu’il faut faire la morale. A lui d’assumer, pas à sa maman.» Aux Chênes, la mère de famille a refermé sa porte, les pompiers ont éteint le feu de poubelle et les mères solidaires sont rentrées chez elles. Depuis le changement de règlement des HLM, en un an, 71 autres procédures ont été engagées. L’une d’elles concerne un jeune qui a lancé un cocktail molotov sur des policiers. Six locataires ont déjà quitté leur logement après les rappels à l’ordre (mais sans qu’il ait eu besoin de passer par la case justice), les autres sont convoqués au tribunal. Autant de familles qui risquent cette punition collective.