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Logement

«Airbnb partout, logements nulle part» : contre «les dérives» des meublés de tourisme, des collectifs font maison commune

Des associatifs franciliens, mais aussi de Saint-Malo ou du Pays basque, se sont retrouvés, samedi, devant le siège parisien d’Airbnb. Ils dénoncent une même pression locative dans leurs territoires.
FILE PHOTO: The Airbnb logo is seen on a little mini pyramid under the glass Pyramid of the Louvre museum in Paris, France, March 12, 2019. REUTERS/Charles Platiau/File Photo/File Photo (Charles Platiau/REUTERS)
publié le 17 octobre 2021 à 13h03

La porte d’entrée marron ne paie pas de mine. Mais niché entre une bijouterie et une enseigne de restauration rapide sur la place de l’Opéra, à Paris, l’immeuble abrite bien le siège français du géant des meublés de tourisme Airbnb. C’est sur le pas de cette porte que, samedi, plusieurs collectifs ont décidé d’organiser une conférence de presse contre «les dérives des locations de courte durée» et pour réclamer leur plus strict encadrement, au milieu des touristes et des flâneurs. «Airbnb partout, logements nulle part», pouvait-on lire sur une banderole.

Parmi les militants, Véronique Deschamps et Franck Rolland du collectif «Saint Malo, j’y vis, j’y reste». La commune d’Ille-et-Vilaine a mis en place l’une des réglementations les plus drastiques de France pour encadrer les locations de courte durée, avec notamment l’instauration de quotas de meublés touristiques à ne pas dépasser par quartier (12,5 % intra-muros, 1 % ailleurs), la limitation à une seule demande par propriétaire ou encore l’impossibilité pour les sociétés civiles immobilières (SCI) et les personnes morales de louer des appartements via les plateformes de type Airbnb et Abritel. Et pour cause : la pittoresque commune bretonne est confrontée au «développement exponentiel» des locations de courte durée, explique Franck Rolland, également l’un des organisateurs de l’événement. «On n’est pas contre les locations de tourisme, mais on est contre la massification, indique-t-il. C’est devenu de la véritable spéculation immobilière.»

«J’ai vu débarquer des valises et des inconnus»

Véronique Deschamps, qui vit à Saint-Malo depuis quarante-deux ans, raconte subir une «souffrance» qui «a commencé en avril 2016», après qu’un propriétaire de son immeuble a converti un logement en meublé de tourisme. «J’ai vu débarquer des valises et des inconnus dans mon immeuble, relate l’ancienne coiffeuse. J’ai été estomaquée.» Elle évoque le bruit et le sentiment d’insécurité. Aussi, à cause de ces locations, «les prix augmentent et les gens sont obligés de s’installer en périphérie». «Les saisonniers ne trouvent plus de quoi se loger, donc certains commerçants ne trouvent plus de saisonniers», affirme-t-elle.

A Paris, Jeanne et Solène (1) du collectif Droit au logement (DAL) ont elles aussi eu à faire avec des nuisances causées par la présence de deux meublés de tourisme dans leur «petit immeuble de dix appartements appartenant au même propriétaire». Elles décrivent les allers-retours, «les valises qui défoncent les parties communes», les sollicitations des touristes, les insultes, les menaces parfois. Confrontées à l’indifférence du propriétaire, elles ont décidé de se mobiliser. D’autant plus que l’an dernier, les soirées se sont multipliées dans les locations saisonnières. «Ça a vrillé, tranche Jeanne. En deux mois, il y a eu six fêtes avec des dizaines de jeunes à chaque fois.» Alors, pour alerter, elles ont déployé une banderole sur leur immeuble et fait circuler une pétition. «Ça a marché», annoncent-elles, puisqu’une inspection a eu lieu. L’un des meublés, qui «n’était pas dans les clous» parce qu’il n’était pas enregistré auprès de la mairie, a cessé ses activités.

De son côté, Airbnb assure avoir pris le problème des fêtes à bras-le-corps. «Nous avons notamment introduit des mesures automatisées, qui permettent d’empêcher dans certaines circonstances les personnes de moins de 25 ans disposant de moins de trois commentaires positifs de réserver un logement entier à proximité de leur lieu de résidence», explique la plateforme. En un an, le dispositif aurait permis de bloquer plus de 240 000 personnes en France, pour réduire le nombre de fêtes non autorisées dans les logements.

L’hôtel de ville d’Anglet en location

Demeure la question de la pression locative. Emma Tosini, de l’association Alda («changer» en basque), est venue pour faire entendre la voix des habitants des quartiers populaires. «Le Pays basque est une zone de forte tension immobilière et locative, décrit la porte-parole d’Alda. On n’y compte que 15 000 logements sociaux, il n’y a qu’une attribution pour six demandes. Les logements du parc privé sont, quant à eux, transformés en meublés touristiques alors qu’ils pourraient être loués [par des personnes qui en ont besoin]. On estime qu’il y a entre 6 000 et 7 000 meublés de tourisme sur 41 000 logements.» Pour Emma Tosini, on peut expliquer ce «redéploiement d’Airbnb sur les territoires ruraux et littoraux» par le fait que plusieurs grandes villes et agglomérations, telles que Paris, Marseille ou Bordeaux, ont mis en place des mesures pour encadrer les locations saisonnières.

L’association basque pointe aussi le manque de contrôle des logements par les plateformes. Pour illustrer son propos, elle a récemment inscrit sur Airbnb… la mairie d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques) comme bien à louer. L’annonce avait beau préciser l’adresse de l’hôtel de ville, cette «maison chaleureuse au cœur d’Anglet, une ville qui sait accueillir…», comme le décrivait l’annonce, a bien été enregistrée sur la plateforme via son système automatisé. Un écueil que la commune voisine de Biarritz souhaite éviter en imposant de faire valider les biens à louer par les services municipaux avant toute mise en ligne. Mais Airbnb s’oppose à cette obligation, estimant illégal le délai d’instruction par la mairie, et ne demande pas, pour l’instant, à ses hébergeurs biarrots de respecter cette procédure.

«Il n’y a aucun intérêt à visiter une ville qui perd ses habitants»

D’où qu’ils soient en France, tous les associatifs dénoncent l’impact des sociétés comme Airbnb et Abritel sur l’accès aux logements des locaux. «Nos enfants ne pourront plus vivre dans la ville qui nous a vus grandir», déplore Véronique Deschamps. «Je ne suis pas directement touché par les nuisances, mais je constate que les Parisiens sont contraints de venir dans ma ville pour pouvoir se loger, observe Vincent Aulnay, membre du collectif ParisVsBnb et vivant en banlieue parisienne. Aujourd’hui, si je veux devenir propriétaire il faudra que je m’installe plus loin.»

Quelques militants insistent sur le fait de ne pas être opposés à ce genre de locations «qui ont répondu aux demandes de touristes auxquels ne répondaient pas les hôtels, comme la possibilité de cuisiner, d’avoir des occupations pour les enfants, d’inviter ses amis et des conseils sur la commune visitée», concède Franck Rolland. «Je veux juste que les gens comprennent qu’il n’y a aucun intérêt à visiter une ville qui perd ses habitants», affirme Véronique Deschamps.

(1) Les prénoms ont été modifiés.