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Témoignages

Crise du pavillon : «Madame, il vaut mieux revenir avec un conjoint et un vrai CDI»

Crise du logementdossier
L’une est en couple avec enfant, l’autre célibataire : Anouk et Cécile, deux trentenaires, racontent les déceptions et difficultés qu’elles ont rencontrées dans leurs recherches d’une maison à acheter du côté de Bordeaux.
La vente est passée de 139 600 maisons neuves en 2021 à 49 300 en juillet. (Xose Bouzas/Hans Lucas)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 25 septembre 2024 à 22h36

Le secteur pavillonnaire traverse une crise paradoxale. Si le nombre de personnes désireuses d’acquérir une maison ne faiblit pas, de moins en moins y parviennent. Dans le neuf, la chute est spectaculaire, de 139 600 maisons vendues en 2021 à 49 300 en juillet dernier, sur un an. Libération est allée à la rencontre de postulants propriétaire du côté de Bordeaux, dont le rêve pavillonnaire s’apparente à un chemin de déception.

Anouk, 32 ans, directrice clientèle en agence, en couple, mère d’un enfant de 3 ans

«Quand on trouve dans nos prix, il faut tout refaire ou alors on est 50 sur la même maison»

«Avec mon compagnon – il est aide-soignant – nous sommes locataires. Le projet d’acheter une maison avec jardin à Bordeaux ou dans les villes limitrophes est né au printemps. On aimerait agrandir la famille, on cherchait donc un toit avec une troisième chambre pour accueillir un deuxième enfant. Très motivés, on a commencé à regarder les annonces tous les jours, pour 300 000 euros max. On a contacté des propriétaires, fait des simulations d’emprunt. Puis rapidement, on a déchanté. Il a fallu renoncer. Avec un apport de 10 000 euros et un salaire net mensuel de 4 000 euros par mois à deux, les banques n’auraient pas suivi. C’était pas loin d’être ingérable pour nous niveau mensualités avec les taux actuels et les prix qui augmentent partout. Il aurait fallu compter chaque sou, ne plus partir en vacances. Sans compter que tout est devenu trop cher dans la métropole. Quand on trouve miraculeusement dans nos prix, c’est qu’il faut tout refaire ou alors on est 50 sur la même maison. Les seuls biens abordables, ce sont les appartements, mais ce n’est pas le plan. C’est terriblement frustrant. On est loin d’être pauvres avec nos deux CDI. On a galéré pour avoir des boulots stables et confortables. Au bout du compte, on se retrouve quand même bloqués. Maintenant, on envisage de s’éloigner à la campagne. Ça été dur à digérer pour la citadine que je suis.»

Cécile, graphiste indépendante, 30 ans, célibataire

«Je me rends compte que ça reste compliqué quand on est seul»

«Si je devais résumer ma recherche d’une maison avec un petit bout de jardin dans la métropole bordelaise, c’est beaucoup d’injustice. J’ai commencé à regarder les annonces il y a quatre ou cinq ans environ et je me suis acharnée jusqu’à récemment. Je savais que mon dossier n’allait pas être simple. Je suis free lance, célibataire, sans apport et je gagne environ 2 500 euros net par mois. Mais je ne suis pas trop gourmande niveau surface, ni exigeante sur les critères. Je voulais juste quitter la vie d’appart et accéder au rêve de posséder ma propre maison. Je visais 240 000 euros au taquet de mon budget. Les taux étaient vraiment bas à cette période. J’étais prête aussi à m’éloigner de Bordeaux, dans la limite du raisonnable. Première douche froide pendant un rendez-vous à la banque : on m’a tout de suite demandé comment je ferais si je tombais enceinte pour assumer un emprunt. Je suis restée bouché bée. On a rajouté que sans apport, c’était difficilement envisageable. Résignée, je me suis dit que je retenterai quelques années plus tard. J’ai mis de l’argent de côté. Je compte réunir 30 000 euros au total d’ici deux ans. Cette fois-ci, j’ai pris attache avec un courtier, pour mieux anticiper. Nouvelle déconvenue. Il m’a dit : “Madame, il vaut mieux revenir avec un conjoint et un vrai CDI.“ Ce jour-là j’ai fait le deuil d’une maison du côté de Bordeaux. Mais même en cherchant plus loin, à la campagne, je me rends compte que ça reste compliqué quand on est seul. Le plus frustrant dans tout ça ? Depuis le début de ma recherche, j’ai lâché environ 45 000 euros de loyer…»