Dans l’imaginaire collectif, le terme d’«habitat indigne» renvoie davantage à l’effondrement meurtrier de la rue d’Aubagne à Marseille, en 2018, qu’à ce centre-ville parsemé de quelques maisons à colombages. Côté pile, Thouars est une charmante petite ville du nord des Deux-Sèvres labellisée «ville d’art et d’histoire». Côté face, «ça se dégrade», se désole Charly Bonnier, patron du Café des arts, situé rue Saint-Médard, dans le cœur historique de la commune. Aujourd’hui, la quasi-totalité des vitrines de cette rue ont le rideau baissé et les ruelles étroites présentent des façades abîmées par le temps. Le 5 octobre, la corniche d’un immeuble s’est même effondrée un peu plus loin.
Interview
«Thouars a été une ville riche», souligne celui qui a débarqué de la métropole lilloise il y a six ans. Depuis les années 80, la ville connaît une lente décrue démographique : Thouars est passé de 12 000 habitants en 1975, à 9 200 en 2016. L’absorption de communes voisines a permis de gonfler les chiffres : le dernier recensement pointe à 14 000 habitants. Depuis son premier étage, Arlette, habitante du quartier depuis cinquante-huit ans, lance : «Avant, y’avait des commerces partout et les gens habitaient au-dessus !» Les deux semblent avoir foutu le camp.
«Cercle vertueux»
Pour lutter contre la dégradation des logements, la communauté de communes du Thouarsais a validé début décembre l’instauration d’un «permis de louer». Rendu possible par la loi sur l’accès au logement et urbanisme rénové de 2014 (Alur), le permis de louer est laissé à la discrétion des collectivités locales. Avant qu’un logement ne soit mis sur le marché locatif, celui-ci doit obtenir le tampon de la municipalité. Un dossier technique est rempli sur demande du bailleur. Un contrôle peut ensuite être effectué et des travaux demandés. Les bailleurs qui esquiveraient la procédure risquent 5 000 euros d’amende, 15 000 euros en cas de récidive.
A partir de juin 2022, ce permis concernera environ 180 logements du vieux Thouars. Pour Bernard Paineau, maire de la ville depuis 2020 et également président de la communauté de communes, ce permis est «un outil parmi d’autres» pour revitaliser le territoire, et notamment lutter contre «l’habitat indigne et la pratique inacceptable de marchands de sommeil». «Cela participe à un cercle vertueux et à une dynamique d’attractivité.» Aujourd’hui, le dispositif est déployé dans certains quartiers d’une centaine de villes françaises. Dans les Deux-Sèvres, la ville de Niort l’expérimente depuis 2019. La préfecture indique que 194 contrôles ont eu lieu, qui ont donné lieu à sept amendes. Pourtant, ce permis ne constitue en aucun cas une révolution : même si le code civil oblige le bailleur à délivrer «un logement décent», 420 000 logements sont classés dans le parc privé potentiellement indigne (PPPI) par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Ils sont 6 200 dans le département, principalement dans les zones urbaines.
«Mesure maladroite»
Le dispositif ne fait cependant pas l’unanimité. «Cette mesure n’est pas le “mot magique” qu’espère un certain nombre d’acteurs», pointait dans un rapport parlementaire d’octobre 2019 le député La République en marche Guillaume Vuilletet. Pour Jean Bigot, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers des Deux-Sèvres, c’est même carrément l’inverse : «Je suis suspecté d’être un marchand de sommeil !» s’insurge le propriétaire d’une maison dans une zone de permis de louer, à Niort. Il accuse ces loueurs peu scrupuleux d’être responsables de la mise en place de nouvelles démarches contraignantes dont les bailleurs lambda se seraient bien passés. «C’est à cause d’eux qu’il y a toutes ces lois contre les propriétaires…» Celui qui dit représenter essentiellement des «petits propriétaires» dénonce une surcouche administrative, «un problème de compétences au sein du personnel des mairies» pour gérer les dossiers et des contrôles trop subjectifs.
Récit
«C’est une mesure pleine de bonne volonté, mais assez maladroite», estime de son côté Yankel Fijalkow, sociologue spécialisé dans le logement et l’urbanisme. Il craint qu’un bien n’obtenant pas l’aval des autorités ne glisse «hors marché». «On se défausse sur les collectivités locales qui n’ont pas les moyens de faire respecter ce permis», ajoute le partisan d’une «véritable police des loyers», qui souligne : «La tendance est plutôt à la diminution du nombre de fonctionnaires et des services de contrôle de l’Etat.» A Thouars, le coût du permis de louer sera entièrement à la charge de la collectivité. La première année, il est estimé à 25 000 euros au total, pour environ 80 dossiers traités.