Aujourd’hui, sur les 1 358 aires d’accueil répertoriées en France destinées aux personnes vivant dans une habitation mobile, 51 % sont polluées. Localisés à proximité de déchèteries, de stations d’épuration, d’usines ou encore de voies ferrées, ces espaces rendus obligatoires par une loi de 1990 pour les communes de plus de 5 000 habitants exposent leurs résidents à de lourdes nuisances environnementales et industrielles. Alors que la catégorie administrative de «gens du voyage» concerne indistinctement plusieurs communautés (Roms, Manouches, Yéniches…), l’auteur utilise, lui, le terme de «voyageur». Dans son livre paru ce vendredi, Où sont les «gens du voyage» ?, il dresse le bilan de ces lieux d’accueil qu’il estime, pour certains, particulièrement inadaptés aux êtres humains, et procède à leur inventaire critique.
Pourquoi un sujet aussi spécifique que les aires d’accueil ?
Je viens d’une famille de voyageurs mais j’ai choisi la sédentarité en raison de ma profession. J’ai commencé à réaliser un inventaire de ces lieux à partir de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen (Seine-Maritime), en septembre 2019. A ce moment, les habitants de l’aire d’accueil de Petit-Quevilly au pied de l’usine se sont constitués en collectif suite à l’incendie. Peu de temps après, j’ai été un des signataires d’une tribune sur le sujet qui dénonçait leur invisibilisation parmi les victimes de Lubrizol. De là, les acteurs publics se sont empressés de contester nos dires, au motif qu’on n’avait pas de chiffres, pas d’éléments palpables pour le prouver. C’est comme ça que j’ai lancé cette étude.
Votre livre ne manque pas de données, comment les avez-vous collectées ?
J’ai recensé près de 1 400 lieux depuis l’incendie de l’usine Lubrizol. J’ai travaillé essentiellement avec des outils informatiques, des données satellites, des documents publics mis à disposition par l’administration et des articles de presse locaux. Les pétitions anti-aires d’accueil ont été une ressource formidable que je ne soupçonnais pas. Il y a des aires d’accueil qui, même au milieu de rien, font l’objet de contestation de la part de riverains. De la même manière, quand le projet a pris de l’ampleur, j’ai reçu les témoignages d’habitants. Tout cela m’a permis de recenser plusieurs aires et de les localiser de façon précise. Bien entendu, je me suis également rendu sur certains lieux.
Quelles conclusions tirez-vous de votre enquête ?
Depuis la loi Besson I de 1990, toute commune de plus de 5 000 habitants a l’obligation de réserver aux gens du voyage des terrains aménagés afin de prévoir leurs conditions de passage et de séjour. Néanmoins, lorsque l’on fait le tour de France des aires d’accueil, on se retrouve à faire le tour des décharges, des stations d’épuration et des terrains industriels contaminés situés à proximité. Il ressort de mon étude que seules 19 % des aires ne subissent ni pollution visible du ciel, ni effet de relégation. Il s’agit de lieux souvent dégradés et non entretenus depuis plusieurs années avec des branchements insatisfaisants et parfois un accès difficile à l’eau potable. C’est le cas à Saint-Menet (Marseille) où les raccordements ne sont pas aux normes avec des déperditions d’eau importantes. Des aires d’accueil ont même été installées à des endroits où on a refusé la création de chenils en raison de la toxicité de l’environnement. A Petit-Quevilly, les déchets industriels jetés depuis plusieurs années près d’une aire contenaient plus d’une tonne d’amiante. A Gex (Ain), l’aire d’accueil est située entre deux carrières et subit le dépôt d’incinérations illégales de déchets dangereux. Aujourd’hui, beaucoup de gens du voyage qui vivent dans ces lieux se plaignent de maladies pulmonaires et de problèmes de peau. Selon plusieurs études, ils ont une espérance de vie inférieure de quinze ans en moyenne.
Certains résultats vous ont surpris ?
Oui, en effet. J’ai été particulièrement surpris du caractère systémique des relations entre les gens du voyage et l’Etat. C’est toujours la même logique, que je dénonce. Les pouvoirs publics conjuguent deux impératifs implicites : éloigner les gens du voyage du reste de la population, en leur proposant des zones à côté de déchèteries, de lieux qui ne font pas envie ; et ouvrir les aires sur les terrains les moins chers. On se retrouve donc à côté d’installations nocives et exclues de la ville. C’est la récurrence qui rend cela systémique, l’objectif étant de trouver le terrain qui fera l’objet du moins de plaintes possibles.
Ce phénomène se rencontre-t-il dans d’autres pays ?
On retrouve les mêmes problématiques au Royaume-Uni et sur l’ensemble du territoire européen. D’ailleurs, l’année dernière, le bureau européen de l’environnement a rendu un rapport sur la situation des populations roms. Cette étude démontre qu’il y a un «racisme environnemental» à l’égard des Roms d’Europe de l’Est qui se retrouvent dans des quartiers relégués, qu’ils soient nomades ou pas. La notion provient des Etats-Unis mais je la reprends moi-même dans mon livre car je la trouve pertinente. Il est évident que le risque environnemental frappe davantage certaines catégories de population que d’autres. En France, on a certainement un des modèles les plus aboutis de cette forme de discrimination environnementale car les aires d’accueil ne sont pas des terrains informels mais le résultat de politiques publiques.