Mettre fin au principe du logement social «à vie». C’est ce qu’a proposé le ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian, dans un entretien accordé aux Echos et publié jeudi 11 avril, suscitant une vague d’indignation à gauche et parmi les organisations du secteur. Dans les colonnes du quotidien économique, le ministre s’est dit décidé à faciliter la mobilité au sein du parc social. «Il y a des gens […] dont la situation a largement changé depuis qu’ils se sont vu attribuer leur logement», a-t-il martelé, assurant qu’il n’était donc pas «normal» que «1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour entrer» dans un logement social «soient empêchés de le faire».
A en croire Guillaume Kasbarian, 8 % des locataires de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social s’ils en demandaient un aujourd’hui. L’objectif donc : réaliser une évaluation régulière et obligatoire de leur «situation personnelle, financière et patrimoniale». Des propos qui ont suscité de vives polémiques. Mais qui ont surtout interpellé… parce que ces contrôles «existent déjà», rappelle auprès de Libération Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH).
Des règles «extrêmement claires»
Chaque année en effet, «les bailleurs sociaux doivent faire des enquêtes sur les revenus des locataires, qui doivent fournir leur avis d’imposition», détaille l’ancienne ministre du Logement et de l’Habitat durable. Une fois ces documents rendus, le bailleur est chargé de vérifier que le locataire ne dépasse pas le plafond des ressources fixé par la loi. Et si le total des revenus annuels s’avère supérieur d’au moins 20 % au seuil fixé, le locataire «paie ce qu’on appelle un surloyer», précise Emmanuelle Cosse. Un dispositif qui concerne environ 80 000 logements sociaux en France aujourd’hui. Et surtout, qui existe «depuis 1958», ironise Christophe Robert, directeur général de la Fondation Abbé Pierre.
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Et la loi ne s’arrête pas là. Car si ce dépassement de loyer s’inscrit dans la durée et augmente, le locataire peut être amené à quitter son logement, poursuit la présidente de la confédération. «C’est pour ça que je dis qu’il n’y a pas de logement social à vie». Des règles qui, insiste-t-elle, sont «extrêmement claires» et encadrées par l’article L441-9 du Code de la construction et de l’habitation. Dire qu’il y a des locataires à vie, «ça ferait fi de tous les contrôles qu’on met en œuvre chaque année, qui nous prennent du temps, de l’argent, beaucoup de personnel et sur lequel on doit rendre des comptes».
Une consternation que partage Christophe Robert, qui confie être «très surpris» par les déclarations du ministre. «Il fait comme si tout ça n’existait pas…». De quoi le pousser le directeur général de la FAB à s’interroger sur les modifications concrètes que propose le ministre. De son côté, Emmanuelle Cosse tient à nuancer. Selon elle, le gouvernement ne prévoit pas nécessairement «une modification de la manière de faire des contrôles», mais entendrait plutôt «renforcer la manière dont [les bailleurs sociaux] communiquent sur le sujet».
«Le problème n’est pas là»
«Mais surtout, le problème n’est pas là», souligne Christophe Robert. Selon le directeur général de la FAB, l’information principale demeure ce 1,8 million de ménages en attente d’un logement social. Et avec elle, le manque de bâtiments dédiés à les accueillir. Selon le rapport annuel de la Fondation sur le mal-logement, l’État a financé la construction de 124 000 nouveaux HLM en 2016, contre 82 000 en 2023. «Je ne dis pas qu’il ne pourrait pas y avoir des évolutions sur le surloyer ou sur la loi. […] Mais c’est présenté comme la solution à la crise», déplore Christophe Robert.
Interview
La vraie solution, selon lui ? «Construire, et développer l’offre de logement social en France». Un constat que partage Emmanuelle Cosse, qui rappelle qu’environ 11 millions de personnes sont aujourd’hui hébergées dans le secteur HLM. «Le sujet, ce n’est pas de taper sur ceux qui sont déjà logés, souffle-t-elle, mais plutôt de savoir comment on fait plus de logements pour ceux qui attendent». Dans un communiqué publié ce vendredi 12 avril, l’USH a appelé à ne pas opposer «les locataires du parc social aux demandeurs».
Contacté, le cabinet du ministre chargé du Logement n’a pas encore donné suite à nos sollicitations. Les mesures présentées par Guillaume Kasbarian, quant à elle, devraient être intégrées dans un projet de loi voulu comme un texte plus large pour favoriser le logement des classes moyennes. Celui-ci sera présenté en Conseil des ministres en mai, pour un examen au Sénat en juin.