Année olympique, loyers chaotiques ? 2024 marque un net recul du respect de la loi sur l’encadrement des loyers à Paris et en Seine-Saint-Denis, deux zones où se sont concentrées les épreuves des Jeux entre fin juillet et début septembre, selon l’enquête annuelle de l’association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), parue ce mardi 17 septembre. Une analyse qui vient confirmer celle de la Fondation Abbé-Pierre, qui pointait dans son baromètre annuel, publié la semaine dernière, la situation dans la capitale, point noir d’un «bilan plutôt positif» pour l’encadrement des loyers à travers la France.
Concrètement, la CLCV a épluché 1800 annonces de location, 1000 à Paris et 800 en Seine-Saint-Denis, de la fin 2023 à août 2024. Dans la capitale, même si l’encadrement des loyers est moins bien respecté cette année, le résultat reste «raisonnable» : 71 % des annonces sont en conformité avec la loi. Ce qui fait tout de même près d’une annonce sur trois dans l’illégalité. La moyenne du dépassement constaté par l’association est de 170,62 euros par mois, «ce qui fait plus de 2000 euros par an en moyenne, du jamais vu», constate auprès de Libération le juriste David Rodrigues, auteur de l’étude. Un sérieux coup au portefeuille, 22 euros environ de plus que sur la période 2022-2023.
Logement
En Seine-Saint-Denis, sur les territoires de Plaine Commune et Est Ensemble, le montant du dépassement est un peu moins élevé (149,83 euros par mois), mais les annonces hors-la-loi sont beaucoup plus nombreuses. 47 % des offres consultées n’y sont pas en conformité avec l’encadrement des loyers, pas loin d’une sur deux. «Sans parler d’annus horribilis, ce recul n’en demeure pas moins important (7 points) surtout dans une agglomération avec un public fragile économiquement», pointe le rapport de l’association.
Depuis 2018 pourtant, et le retour dans la loi Elan de ce dispositif destiné à limiter les loyers trop élevés dans les zones tendues, «le taux de conformité des annonces ne cessait d’augmenter», raconte David Rodrigues, à mesure que les professionnels et les particuliers se familiarisaient avec les nouvelles règles.
Alors pourquoi ce soudain relâchement ? Si l’auteur de l’étude mise sur un «effet JO», qui a pu inciter des bâilleurs peu scrupuleux à s’affranchir des règles en vigueur, difficile de déterminer si 2024 est réellement «une année particulière» ou si les années précédentes post-crise sanitaire étaient les exceptions avant un retour aux «mauvaises habitudes». Pour départager ces hypothèses, il faudra voir ce que nous réserve le millésime 2025.
«La porte ouverte à tous les abus»
L’association de consommateurs épingle par ailleurs un «florilège de petites annonces» destiné à montrer à quel point les loueurs, particuliers ou professionnels, se montrent encore souvent ignorants des réglementations en vigueur sur les annonces, notamment l’obligation d’afficher le montant du loyer de base et du loyer de référence majoré dans les zones soumises à l’encadrement. Sans oublier les compléments de loyers, autorisés depuis 2021 pour certains logements aux «caractéristiques particulières», par exemple sur la localisation, le confort…
«Au début, sur le principe, on n’était pas contre, parce qu’on pensait naïvement que ça ne concernerait que des logements exceptionnels», explique David Rodrigues, qui a découvert depuis que «le complément de loyer, c’est la porte ouverte à tous les abus». Une «caractéristique particulière» ? Tout dépend de l’interprétation du bailleur… Qui n’hésitera pas, comme l’a repéré le juriste, à demander un complément de loyer pour la présence d’une machine à laver dans le logement ou, luxe absolu, des toilettes à l’intérieur du studio. Ou encore à fixer un loyer de plus de 10 000 euros mensuels au-dessus de l’encadrement pour un bien d’exception, ce complément n’étant pas plafonné.
Un encadrement encore expérimental
A travers cette étude des annonces, CLCV dresse en tout cas un panorama des limites et contournements possibles à l’encadrement des loyers, pointant le «manque de rigueur évident» de certains professionnels, notamment en Seine-Saint-Denis, où 39 % des annonces illégales ont été postées par des agents immobiliers, pourtant pas censés ignorer la loi sur ce sujet. L’association appelle à une meilleure définition du complément de loyer, en l’interdisant par exemple pour les logements inférieurs ou égaux à 14 m², et à une meilleure régulation de la conformité des annonces pour «signer la fin de la récré».
Ce mardi, la mairie de Paris a par ailleurs épinglé Leboncoin, dont «52 % des annonces dépassent le plafond d’encadrement», par la voix de la conseillère déléguée à l’encadrement des loyers, Barbara Gomes, lors d’une action devant le siège de la plateforme. Elle demande, comme la CLCV et la Fondation Abbé-Pierre, la pérennisation pure et simple de l’encadrement des loyers, actuellement toujours au stade d’expérimentation, et qui pourrait s’achever en 2026 si ses résultats n’étaient pas jugés concluants. «C’est un dispositif intéressant, qui préserve le pouvoir d’achat, ne coûte rien à l’Etat et n’est pas hypercontraignant», en plus d’avoir eu un «effet régulateur» sur les loyers, vante David Rodrigues : «Y a plus qu’à» ?