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Libération
Injustice sociale

Encadrement des loyers : un tiers du parc locatif toujours en dehors des clous

Alors que le préjudice s’élève en moyenne à 192 euros par mois pour les locataires, notamment de petites surfaces, la Fondation pour le logement des défavorisés appelle à renforcer un dispositif «peu coûteux et aux effets tangibles».

A Lyon, en janvier 2024. (Antoine Boureau/Hans Lucas. AFP)
Publié le 04/09/2025 à 19h55

Une évolution inquiétante pour les locataires. Le baromètre 2025 de la Fondation pour le logement des défavorisés, publié ce jeudi 4 septembre, révèle qu’en 2025, 32 % des biens du parc locatif dépasseraient les plafonnements des loyers. Un chiffre en hausse de quatre points par rapport à l’année 2024. De quoi alarmer la Fondation, qui rappelle que, depuis 2022, le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages (27 % selon l’Insee). Son délégué général, Christophe Robert, milite dès lors pour introduire l’encadrement des loyers comme «une mesure protectrice» : le baromètre estime que le préjudice pour les locataires lésés s’élève en moyenne à 192 euros par mois.

C’est que, sérieusement mise en place, la mesure produit ses effets. A Paris, les ménages ont économisé en moyenne 1 700 euros à l’année depuis l’application de l’encadrement des loyers, en 2019. Depuis que la ville se partage les compétences d’encadrement et de sanction avec la préfecture, les alertes déposées par les ménages ont donné lieu à des mises en demeure. En moyenne, les locataires ont pu récupérer 3 300 euros de loyer indûment perçus par leurs propriétaires.

Environ 70 villes appliquent aujourd’hui un encadrement des loyers, un dispositif expérimental rendu possible par la loi Alur de 2014 puis restreint par la loi Elan de 2018 aux seules collectivités volontaires. Mais cette loi présente une limite de taille : elle ne précise ni n’encadre les «compléments de loyer», l’autre nom donné aux dépassements. Justifiés comme des «avantages», selon l’emplacement ou l’équipement du logement, ils permettent aux bailleurs de gonfler leurs revenus tout en conservant le loyer dans la fourchette prévue par la loi. «On peut arriver à des situations absurdes, où le complément de loyer est supérieur au loyer», rapporte Malika Peyraut, fondatrice de l’association Alda, qui mène des actions de plaidoyer dans le Pays basque, en concertation avec la Fondation pour le logement.

«Un enjeu social»

Le dispositif apparaît plus efficace dans les grandes villes, qui font figure de bonnes élèves. Lille est passée de 43 % de dépassement en 2022, à 31 % cette année, tandis que Montpellier se classe 20 points en dessous de la moyenne nationale, avec seulement 12 % de loyers dépassés. Mais si Christophe Robert veut croire que la mesure «impacte les marchés à long terme, et redonne du pouvoir d’achat dans les villes concernées», ses effets ne sont pas le mêmes sur tout le territoire.

Nouveauté 2025 : le baromètre inclut pour la première fois le diagnostic de performance énergétique (DPE) dans ses calculs. Un critère qui révèle que «les propriétaires qui ont les pires passoires thermiques sont ceux qui ont le plus gros dépassement», selon le délégué général de la Fondation, à l’heure où «30 % des ménages ont souffert du froid l’hiver dernier». Un constat qui vaut aussi pour les logements les plus petits, puisque 91 % des habitations de 10 m2 ou moins sont concernées par un dépassement de loyer. D’où l’importance d’un encadrement «comme un enjeu social», qui répondrait à une «précarisation des jeunes et des ménages modestes», milite la Fondation.

«Une loi qui protège les milieux populaires»

Dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, l’agglomération Plaine commune épingle plus d’une annonce locative sur deux qui ne respecterait pas le plafonnement des loyers. Une donnée préoccupante, que la Fondation s’explique par «un manque de communication autour de la réglementation». «Tout le but de notre action, c’est de ne pas faire passer à la trappe une loi qui protège les milieux populaires», insiste Malika Peyraut. Selon la militante, l’amélioration constatée dans sa région du Pays basque, où «tous les voyants de la crise du logement sont au rouge», provient d’une importante mobilisation citoyenne sur l’encadrement des loyers. Depuis l’entrée en vigueur du dispositif, le taux de dépassement est passé de 43 % à 38 %.

La fin de l’expérimentation sur l’encadrement des loyers est prévue pour novembre 2026 : une date butoir qui inquiète, dans un contexte d’instabilité politique. «Il faut anticiper le risque de voir le dispositif dériver si le gouvernement tombe», alerte Christophe Robert, justifiant le lancement d’une campagne nationale sous la forme d’une pétition. Appuyée notamment par la Ligue des droits de l’homme, ses auteurs ambitionnent de récolter 100 000 signatures, pour engager un dialogue avec les élus et les parlementaires dans les prochains mois.

«Rééquilibrer le rapport de force»

Parmi les revendications, la chargée de plaidoyer de la Fondation, Eléonore Schmitt, cite en priorité «l’étendue du dispositif à toutes les “zones tendues”» – ces périmètres urbains de plus de 50 000 habitants où il existe un fort décalage entre l’offre et la demande du parc locatif. La pétition réclame aussi la mise en place de restrictions pour le bailleur selon le DPE, et l’augmentation d’un délai de contestation pour le locataire, passant de trois mois à trois ans.

Pour «rééquilibrer le rapport de force entre locataire et bailleur», Antoine Broussart, créateur de l’association Brigade associative interlocataires, qui opère notamment à Lyon et sa périphérie, exhorte la puissance publique à s’emparer du problème : «La préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes dit que dans 95 % des cas mis en demeure, les locataires ont obtenu gain de cause.» Les associatifs estiment à plusieurs centaines de milliers les locataires lésés à travers la France, ignorant les recours possibles. Ils appellent à un «sursaut du gouvernement», pour maintenir à flot ce dispositif «peu coûteux et aux effets tangibles», plaide Christophe Robert.