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Logement

Expulsion à Romainville : «C’est traumatisant de se retrouver à la rue de cette façon»

Une vingtaine d’habitants en situation de précarité ont été évacués de la Halle Benfleet, occupée depuis 2022. Alors que la trêve hivernale entre en vigueur mercredi, les expulsés se retrouvent sans solution de relogement concrète.
Une brigade de CRS, le 23 février. ( Jean-Christophe Verhaegen/AFP)
par Margo Bierry
publié le 31 octobre 2023 à 13h01

C’est au son des camions de CRS et d’une porte que l’on enfonce que se sont réveillés lundi matin, à 7 heures, une vingtaine d’habitants de la Halle Benfleet, dite «la Caboteuse», à Romainville (Seine-Saint-Denis). Sur demande de l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (EPFIF), propriétaire de cette ancienne usine de pièces automobiles, les forces de l’ordre ont bloqué la rue avant d’entrer dans le bâtiment et d’ordonner une évacuation, témoigne Valentin, jeune anthropologue vivant sur les lieux depuis un an et demi.

Cette halle, acquise par l’EPFIF en 2013, ne faisait l’objet d’aucun projet immobilier. Repérée par un groupe d’une dizaine de personnes en situation de précarité en mai 2022, le bâtiment a ensuite été occupé : «On passait devant depuis un moment et on voyait qu’il était vide. On a vu qu’il n’y avait pas de projet, donc on s’est installés», raconte Valentin, membre du collectif le Carton, qui défend l’usage de lieux abandonnés.

Mode de vie calme

Professeur à la Sorbonne, agent municipal au cimetière, bénéficiaire du RSA avec de graves problèmes de santé ou sans papiers… Une vingtaine de personnes âgées de 14 à 65 ans, aux profils divers, vivent actuellement sous ce toit. Ses soutiens ont voulu faire de la Caboteuse un centre d’aide sociale, avec son pôle d’hébergement d’urgence, ses distributions de paniers repas, ses cantines collectives, son ciné-club ou ses activités artisanales. Un mode de vie calme, qui ne justifie pas, selon Florence Fekom, l’avocate des expulsés, une telle expulsion. «C’est traumatisant pour eux de se retrouver à la rue de cette façon. On ne comprend pas la décision de l’EPFIF», déplore-t-elle. Contacté à plusieurs reprises par Libération, la préfecture de police de Paris n’a pas donné suite.

Au début de l’hiver dernier, l’opérateur public avait porté plainte contre le collectif et assigné ses membres devant le tribunal judiciaire de Bobigny. L’audience en première instance avait ainsi donné lieu à un accord pour la trêve hivernale avec un délai de six mois supplémentaires, repoussant la date d’expulsion au 8 octobre 2023. Compte-tenu de l’absence persistante de projet pour le bâtiment, des profils logés et de leur niveau de précarité, le collectif avait fait appel. Une nouvelle audience s’est tenue le 25 octobre dernier, pendant laquelle «la juge avait l’air conciliante», selon Magali, artiste plasticienne et professeure à l’université, vivant à la Caboteuse depuis mai 2022. Le délibéré devant être rendu le 30 novembre, l’EPFIF avait fait promesse de ne pas recourir aux forces de l’ordre avant cette date butoir. «On a bien senti que l’avocat de la partie adverse avait quitté l’audience énervé», se souvient Lucas (1), qui vit lui aussi à la Halle Benfleet.

«Grande précarité économique»

La promesse a été rompue ce lundi. «Les policiers ont défoncé la porte avec un bélier et sont entrés sans première sommation. Une personne qui dormait à l’étage a pris un coup de matraque, une autre a été menacée avec une arme, décrit Magalie la voix encore tremblante. Ils ne nous ont pas laissé le temps de prendre nos affaires, notamment des médicaments ou des lunettes de vue. La moitié était en pyjama et certains sans chaussures dans la rue, sous la pluie. On criait qu’on était pacifistes mais c’était impossible de communiquer avec eux.» Les habitants sont bénéficiaires de la trêve hivernale qui entre en vigueur mercredi 1er novembre.

Les délogés regrettent également qu’«aucune solution de relogement concrète» ne leur aient été proposée. Ils doivent trouver des solutions par eux-mêmes. «On essaie de contacter nos amis et connaissances pour être logés au moins quelques jours, raconte Valentin. On a de l’aide de nos voisins qui nous disent qu’ils peuvent accueillir une à deux personnes sur leur canapé, mais ça va être compliqué de reloger 25 personnes, et on est tous dans une grande précarité économique, et parfois même sanitaire ou sociale.» Selon l’anthropologue, l’immeuble est actuellement placé sous surveillance de gardes accompagnés de chiens. Les habitants pourraient récupérer leurs effets personnels mardi, avant que l’immeuble ne soit muré et la porte changée. Contacté par Libération, l’EPFIF n’a pas répondu à nos sollicitations.

(1) Le prénom a été changé.