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Précarité

Fin de la trêve hivernale : «Jamais il n’y a eu autant d’expulsions», alerte la Fondation pour le logement des défavorisés

A la veille de la fin de la trêve hivernale, l’association pointe les graves conséquences sociales des expulsions locatives, démultipliées par l’inflation et les politiques répressives comme la loi anti-squat de 2023.
Selon la Fondation pour le logement des défavorisés, «24 000 ménages, soit environ 50 000 personnes, ont été expulsés par les forces de l’ordre en 2024». (Francesco Acerbis/Divergence)
par Louis Breton
publié le 31 mars 2025 à 20h07

«PARIS Ier. Palais Royal. A LOUER. Coquet, emplacement central. 4m2 (0 m² loi Carrez). Grand extérieur de 7 500 m². Rare. A saisir sans attendre.» La banderole affichée ce lundi 31 mars par la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre) à Paris a de quoi faire réagir. Deux voitures garées avec le coffre ouvert font face au Conseil d’Etat d’un côté et au musée du Louvre de l’autre, avec autour d’elles de nombreuses enseignes de luxe. Dans les habitacles, l’ONG a glissé des couvertures, des habits et des jouets d’enfant. Une action coup de poing pour alerter les pouvoirs publics et la population à la veille de la fin de la trêve hivernale, qui protège les locataires des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars.

Au micro, Christophe Robert, le délégué général de la Fondation, expose les faits : «Nous faisons face à une situation inédite : 24 000 ménages, soit environ 50 000 personnes, ont été expulsés par les forces de l’ordre en 2024. C’est le double d’il y a dix ans. Jamais il n’y a eu autant d’expulsions, nous battons le record année par année.» Avant de clamer encore plus fort : «J’en appelle à un sursaut. Les politiques de prévention sont au point mort alors que des milliers de familles ne savent pas où elles vont dormir la nuit prochaine.» Le chiffre réel des expulsions est d’ailleurs sous-évalué puisqu’il n’est basé que sur les opérations des forces de l’ordre pour déloger les personnes. Or, «beaucoup de gens partent avant que les policiers arrivent pour ne pas subir une humiliation supplémentaire», explique Christophe Robert. Les loyers impayés sont le motif le plus courant de ces expulsions locatives. Sollicité par Libération, le ministère du Logement ne confirme pas le chiffre des expulsions avancé par la Fondation mais assure qu’il «en cours de consolidation par les services» et qu’ils «sera communiqué ultérieurement». Sans faire d’autre commentaire.

«Obligés de dormir dans leur voiture»

Comment expliquer la forte hausse de ces expulsions ? Pour Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement, ce sont «les conséquences de la crise de l’inflation». «En bas de l’échelle sociale, il y a énormément de personnes qui ont souffert de la crise économique.» La situation risque d’empirer puisque le nombre de personnes en grande difficulté financière ne cesse d’augmenter : «Plus d’1,2 millions de ménages ont fait face à des impayés d’énergies et se sont vu couper l’électricité ou réduire la puissance en 2024», illustre l’associatif qui affirme «que le gouvernement a aggravé la situation». D’après la Fondation pour le logement, la loi dite Kasbarian-Bergé ou «anti-squat», promulguée en 2023 et qui réprime les occupations illicites, a déjà des effets sur les personnes les plus précaires. «La loi accélère la procédure d’expulsion locative et court-circuite les dispositifs de prévention déjà fragilisés. Les juges ont moins de latitude pour donner le temps aux familles de rembourser leur dette et de trouver des solutions. On appelle le gouvernement à changer de politique pour faire des expulsions une exception et non la règle», clame Christophe Robert.

La mise en scène de ce lundi illustre aussi les conséquences des expulsions. D’après une étude de la Fondation, un tiers des personnes expulsées se retrouvent sans aucune solution pérenne de relogement «et ce, 1 an à 3 ans après leur expulsion». «Ils vont soit vers des proches et dorment sur un bout de canapé, soit ils appellent le 115 mais les services d’hébergement d’urgence sont saturés. Certains sont obligés de dormir dans leur voiture s’ils en ont une, sinon ils vont passer la nuit dehors», souligne Manuel Domergue. «Les conséquences sociales et professionnelles sont très importantes. Ils n’ont plus de liens sociaux. Ceux qui passent la nuit dans leur véhicule avec leur famille n’ont même plus d’intimité», poursuit-il. Face à l’urgence, la Fondation appelle les pouvoirs publics à réagir et «lancer un plan de prévention» avec tous les acteurs concernés. Elle souhaite également renforcer les aides au maintien dans le logement et augmenter le fonds d’investissement des propriétaires, «qui permet de les dédommager quand les préfets décident de différer l’expulsion». «Mais aujourd’hui, déplore Christophe Robert, c’est la fermeté qui prime et les moyens alloués ne cessent de diminuer.»