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Libération
«Je les appelle tous les deux jours»

Les naufragés de MaPrimeRénov

L’aide de l’Etat aux particuliers pour les travaux de rénovation de leur logement connaît d’importants dysfonctionnements, plongeant de nombreux foyers dans l’angoisse et la colère.
Manifestation à Paris, le 2 novembre. (Edouard Monfrais/Hans Lucas via AFP)
par Erwan Manac'h
publié le 24 novembre 2022 à 15h43

«Par les temps qui courent, avoir 7 000 euros dehors, ça fait mal aux comptes bancaires.» Comme des dizaines de propriétaires suspendus au versement de MaPrimeRénov, Sandra ne sait plus à qui crier son angoisse. Son député ? Le président de la République lui-même ? La Défenseure des droits ou le tribunal administratif ? Rien ni personne ne semble pouvoir accélérer la machine administrative. En attendant, elle a contracté un crédit à la consommation pour payer ses factures.

Depuis 2020, cette prime créée en remplacement du crédit d’impôt pour la transition énergétique permet à des propriétaires souvent modestes de toucher jusqu’à 20 000 euros d’aide sur présentation d’une facture de rénovation énergétique. La simplicité du dispositif et la publicité dont il a bénéficié ont fait exploser le nombre de demandes : + 300 % entre 2020 et 2021 selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Mais son déploiement a tourné au cauchemar pour de nombreux bénéficiaires. «Après avoir fait les travaux, je n’ai reçu que 3 900 euros sur les 7 500 euros prévus, alors que le devis et la facture étaient strictement identiques», témoigne Romano, professeur des écoles, qui a isolé sa maison par l’extérieur.

Plateforme en ligne kafkaïenne

Retards de paiement, bugs en tous genres, primes inférieures à l’estimation réalisée avant les travaux : sur plusieurs forums en ligne comme sur le groupe Facebook «Ma prime rénov : parcours du combattant !» (18 000 membres), les messages pleuvent, chaque jour, pour faire remonter des histoires similaires. Entre angoisse et colère, des propriétaires racontent la même attente de plusieurs mois pour percevoir leur argent après avoir payé les artisans ; les mêmes réponses évasives ou péremptoires à leurs appels de détresse, de la part des téléconseillers du programme ; la même inquiétude financière. «Je les appelle tous les deux jours, assure Sandra à Libération. Ils me baladent et me répètent sans cesse qu’il faut que je sois patiente.» Certains artisans, qui acceptent de faire l’avance ou se chargent de récupérer directement l’argent, se retrouvent à leur tour en souffrance à cause de trous dans leur trésorerie de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

En octobre, la Défenseure des droits a dressé un bilan sévère du dispositif, sur la base de près de 500 réclamations reçues en deux ans. Elle critique notamment la procédure d’attribution, entièrement dématérialisée et en partie automatisée, qui laisse les propriétaires seuls, en cas de problème, face à une plateforme en ligne kafkaïenne. Les 450 espaces conseil dédiés, déployés partout en France, peuvent fournir des conseils gratuits, mais n’ont pas la possibilité d’intervenir sur les dossiers en souffrance.

D’après la réponse adressée à la Défenseure des droits par l’Anah, qui gère le dispositif, les bugs seraient en cours de résolution et les délais d’instruction des dossiers resteraient, «en moyenne», conformes à la promesse de quinze jours ouvrés affichée sur son site. «Plus de 1,25 million de ménages ont bénéficié de cette prime […], avec une satisfaction globale des bénéficiaires de 89 %», se défend aussi l’institution.

En renfort

Pour muscler l’accompagnement, des acteurs privés sont attendus en renfort en 2023. Les modalités de leur intervention doivent être précisées par arrêté ministériel dans les prochaines semaines, mais les acteurs publics du secteur s’inquiètent déjà d’un risque de conflits d’intérêts : «Des entreprises pourraient avoir intérêt à orienter les gens vers une technologie ou un matériel, en fonction de leurs activités par ailleurs», s’inquiète Frank Sentier, délégué général de la Fédération des agences locales de l’énergie et du climat, rejoint sur ce sujet par l’association Cler - Réseau pour la transition énergétique.

Plus grave, selon ces acteurs de la rénovation, les 2 milliards d’euros distribués chaque année par MaPrimeRénov manquent largement leur cible, en se concentrant sur des petits gestes comme le remplacement des chauffages au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur électriques ou des poêles à granulés. Selon l’Anah, à peine 21 % des financements distribués au 1er semestre concernent des travaux d’isolation. Résultat, seulement 2 500 logements ont été sortis en 2021 du statut de «passoire thermique», selon les chiffres du projet de loi de finance 2022 cité par la Cour des comptes, malgré 644 000 travaux financés par MaPrimRénov. A ce rythme, il faudra faire preuve de patience avant de régler leur compte aux 4,8 millions de logements très énergivores que dénombrent les services du ministère de la Transition écologique.