Parler d’une crise du logement à Paris sonnerait comme un euphémisme. Devant les appartements de la capitale, les files d’aspirants locataires ne cessent de s’allonger. Les populations les plus précaires se retrouvent de plus en plus à la rue. Pour autant, 19 % des logements parisiens, soit 262 000 logements sont inoccupés, révèle l’Atelier parisien d’urbanisme dans une étude parue mardi 5 décembre. Un chiffre en forte hausse depuis une dizaine d’années (+3,6 % depuis 2011) qui, en plus des 3,5 % des ménages qui possèdent la moitié des logements en location selon l’Insee, aggrave les tensions sur un marché locatif déjà sous haute pression. Loin d’être surpris par ces chiffres, Jacques Baudrier, adjoint communiste au logement à la mairie de Paris et coauteur du livre Paris n’est pas à vendre (2013) avec son camarade et prédécesseur à la mairie Ian Brossat, rappelle que cette manne de logements est un «gisement à reconquérir».
Comment réagissez-vous au chiffre de 262 000 logements vacants ? Comment pouvez-vous les expliquer ?
Cela fait dix ans que je suis sur le dossier donc je ne suis pas surpris. Mais la situation parisienne est complètement dingue. Il y a 262 000 logements inoccupés et plein de gens qui dorment dans les rues. D’une part, 128 000 logements sont vacants, parmi lesquels environ 80 000 sont en vacance frictionnelle, en attente d’être reloués ou en travaux, et au moins 40 000 logements vraiment vacants, sans compteurs électriques. D’autre part, il y a 134 000 résidences secondaires. Parmi celles-ci, environ 45 000 sont des pieds à terre pour des travailleurs parisiens qui habitent en province ou à l’étranger, et quelque 25 000 logements meublés touristiques illégaux, notamment des Airbnb loués toute l’année, ce qui est interdit. Les logements restants sont des résidences secondaires dans lesquelles leurs propriétaires ne viennent que très peu. Les propriétaires de ces biens majoritairement situés dans le centre et l’ouest de Paris, sont souvent des multipropriétaires qui possèdent plus de cinq biens immobiliers, des gens qui ont suffisamment de biens et de moyens pour ne pas avoir besoin de les louer ni d’en faire quoi que ce soit.
Quelles sont les conséquences pour les Parisiennes et les Parisiens qui cherchent à s’insérer sur le marché de l’immobilier ?
Le marché locatif est asséché. Sur le parc privé, sans compter les logements sociaux, c’est 22 % des logements privés qui ne sont pas loués ! Et cela touche plutôt des petits logements dans le centre et dans les VIe, VIIe et VIIIe arrondissements, des deux pièces prisés par les nouveaux arrivants sur Paris. Ce phénomène rend beaucoup plus difficile la possibilité de venir habiter à Paris. Et même à l’échelle de toute l’Ile-de-France, c’est très pénalisant et cela explique la légère baisse de population à Paris, mais aussi que plusieurs centaines de personnes peuvent faire la queue pour louer un appartement.
Ces 19 % du parc immobilier parisien inoccupé ont-ils des conséquences non négligeables sur l’écologie et l’étalement urbain ?
C’est évidemment catastrophique. Ces logements inoccupés sont pour la majorité situés en plein cœur de Paris, éloignant les résidents du centre. Des logements sont construits en banlieue pour compenser, un non-sens si on cherche à respecter la loi zéro artificialisation nette [qui vise à lutter contre l’étalement urbain, ndlr]. De plus, si on reconquiert ces logements parisiens, qui sont dans des zones bien desservies par les transports en commun, les résidents utiliseraient bien moins leur voiture pour se déplacer.
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Vous souhaitez reconquérir ces logements inoccupés. Combien de logements pourrait récupérer la mairie ?
Sur le total de logements inoccupés, il y a 25 000 Airbnb illégaux et 80 000 logements vacants ou résidences secondaires très peu utilisées. Le gisement qu’on peut reconquérir c’est à peu près 100 000 logements sur 262 000. Et il augmente ! Pour cela il faut cibler deux populations : ceux qui se font plein de fric avec des Airbnb touristiques illégaux et les multipropriétaires qui ont tellement d’argent qu’ils n’ont pas besoin d’en gagner plus en louant leur logement.
Comment agir contre ces Airbnb illégaux ?
Il faut sanctionner les fraudeurs. Depuis plusieurs années, les enquêteurs de la mairie de Paris les traînent devant la justice. Si on gagne un certain nombre de procès, il y a encore plein de trous dans la raquette juridique. Par exemple, les plateformes de location ne sont pas obligées de nous transmettre les adresses des biens, les dossiers sont donc très longs à monter et l’efficacité de notre action est très fortement ralentie. Ces failles devraient être refermées avec le projet de loi transpartisane qui sera voté début 2024. Cela nous aiderait grandement à gagner plus vite nos procès contre les fraudeurs.
Et pour les 80 000 logements vacants ou résidences secondaires ?
Avec notre dispositif «Louez solidaire et sans risque», on propose déjà des aides à la location pour les multipropriétaires. On leur garantit la perception du loyer et 3 000 logements ont été mis sur le marché avec cette démarche. Sinon, un autre levier marche bien : les taxes. Une première taxe, sur les logements vacants, existe depuis plusieurs décennies, mais son taux, fixé par l’Etat, est bien trop faible. Il faudrait la multiplier par trois alors que l’an dernier son taux n’a été relevé que de 36 %. La seconde, sur les résidences secondaires, est fixée par les communes dans le cadre d’un plafond fixé par le gouvernement, également trop bas. 80 % des 255 communes qui ont fixé cette taxe créée par des communistes sont de droite, comme à Bordeaux sous Juppé, à Nice, ou à Neuilly-sur-Seine.
Votre collègue socialiste Emmanuel Grégoire propose aussi que la réquisition des logements vacants soit facilitée…
Ça fait dix ans aussi que les communistes votent avec les socialistes des vœux au Conseil de Paris pour demander le transfert de la capacité de réquisitionner les logements vacants de l’Etat à la commune, comme pour l’encadrement des loyers. C’est depuis que la mairie a cette compétence que ça marche. Et concernant le droit à la propriété, j’y opposerai le droit au logement. Le droit à la propriété s’arrête peut-être quand des gens meurent du mal logement, non ?
La Fondation Abbé-Pierre a déploré le bilan «désespérant» du nombre de logements sociaux créés pour respecter la loi Solidarité et renouvellement urbain cette année. Si Paris a atteint 114 % de son objectif quantitatif, la ville n’a pas tenu son objectif qualitatif, concernant notamment les logements destinés aux plus pauvres…
La ville de Paris n’a jamais mis autant d’argent pour faire du logement social. La maire y a alloué 281 millions d’euros en 2023, contre 133 millions il y a deux ans. Mais nos opportunités d’acquisition d’immeubles se situent dans des quartiers où il y a déjà beaucoup de logements très sociaux, comme les XIIIe ou XIXe arrondissements. Forcément, les maires de ces quartiers souhaitent aussi avoir du logement social intermédiaire.
Comment agir sur ce sujet dans les arrondissements centraux ?
Dès que la Foncière de la ville de Paris [permettant à la ville d’acheter des biens pour les proposer à des bailleurs sociaux, ndlr] peut racheter des immeubles vides à des prix moins délirants dans ces arrondissements, on le fait. La vacance d’un bâtiment, c’est aussi un critère de choix quand on cible un immeuble à acquérir. L’équation est simple : plus il y a de logements vacants, plus on les achète. Et si le logement social est très utile pour faire baisser la spéculation immobilière, il l’est tout autant pour que les logements soient réellement habités.