Il y a bientôt trois ans, huit personnes perdaient la vie dans l’effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille. Conséquence effroyable de l’habitat indigne, phénomène dénoncé dans toute la France par des associations. «Les effondrements rue d’Aubagne ne relèvent pas de faits divers accidentels, et imprévisibles. [Ils] résulte[nt] d’une continuité de dysfonctionnements […] des acteurs publics», soulignait un an plus tard le Haut Comité au logement pour les personnes défavorisées (HCLPD).
C’est au tour de la Cour des comptes de dénoncer les carences publiques sur le sujet. Dans un référé adressé en juin au Premier ministre et rendu public ce jeudi par son premier président, Pierre Moscovici, l’institution déplore des résultats «insuffisants» dans la lutte contre les logements vétustes à l’échelle nationale, malgré «l’action conjuguée de l’Etat et des collectivités territoriales».
«Loin d’être seulement une marque du passé, l’habitat indigne, tel que défini par la loi (1), est une réalité, qui subsiste de façon plus ou moins concentrée dans des contextes urbains comme ruraux», note l’institution. Parmi les raisons qui expliquent la persistance de ce phénomène du mal-logement dans le parc privé, la cour cite le manque de logements dans certains territoires, le dépeuplement dans d’autres, la paupérisation de certains propriétaires occupants ou encore la vénalité des marchands de sommeil. Pour accélérer la résorption des logements insalubres dans le privé, la cour formule quatre recommandations à l’Etat.
Pas d’évaluation nationale depuis 2013
La première consiste en une meilleure identification des logements concernés en développant «un système d’information performant, adossé sur l’outil de repérage et de traitement de l’habitat indigne (Orthi)». En effet, la dernière «estimation nationale», effectuée par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), date de 2013, explique la cour. L’Anah avait alors relevé que le «parc privé potentiellement indigne» était constitué en France de 420 000 logements. Depuis, aucun autre décompte à l’échelle du pays n’a été effectué. Alors que de récents événements, comme celui de la rue d’Aubagne ou l’incendie d’un immeuble à Aubervilliers en 2018, ont montré que l’habitat indigne produit des drames. On peut aussi lire dans le référé que les objectifs et les aides versées par l’Anah – 136 millions d’euros en 2019 pour la réhabilitation de plus de 10 000 logements – «ne sont pas en rapport avec l’ampleur estimée du phénomène [de l’habitat indigne]».
Surtout, l’identification des logements insalubres nécessite une politique volontariste des pouvoirs publics, souligne le référé, car «les propriétaires ou les locataires qui occupent ces logements peuvent être confrontés à une absence d’alternative, faute d’offre, de revenus suffisants ou du fait de leur situation juridique». «Ils n’ont pas nécessairement conscience de la situation dans laquelle ils se trouvent ; c’est souvent le cas pour les propriétaires occupants», ajoute la Cour des comptes.
Elle préconise également de donner des orientations et des objectifs chiffrés aux plans départementaux pluriannuels de lutte contre les habitations vétustes, ainsi qu’une force contractuelle ; la mise en place d’un organe national «de concertation et d’orientation stratégique associant les principales parties prenantes de la lutte contre l’habitat indigne» en raison des «moyens publics limités, inégalement répartis […] et encore insuffisamment mutualisés» ; et de «renforcer les prérogatives de police judiciaire des agents assermentés des services intervenant en matière d’habitat indigne». La cour regrette que «le nombre de sanctions pénales n’enregistre pas de progression significative malgré l’enrichissement de l’arsenal disponible et une forte mobilisation depuis 2019».
Le gouvernement se dit «mobilisé»
De son côté, s’il se dit favorable aux recommandations de la Cour des comptes, le Premier ministre insiste, dans une réponse en date du 18 août, sur le fait «que le gouvernement est particulièrement mobilisé sur cette politique publique, co-portée par les ministères en charge du Logement, de la Santé, de la Justice et des Collectivités territoriales». Dans le même courrier, il affirme qu’«une stratégie nationale de lutte contre l’habitat indigne et dégradé est en cours d’élaboration» et rappelle que depuis le 1er janvier, les différentes polices administratives, dans le cadre du code de la construction et de l’habitation et du code de la santé publique, ont été simplifiées. «Il est prévu la mise en place d’un comité national de pilotage afin de suivre la mise en œuvre des actions […] de lutte contre l’habitat indigne» dont «la composition est en cours de définition», assure Jean Castex.
(1) «Locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé», précise l’article 1-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement.