L’équation paraît insoluble. D’un côté, l’urgence du réchauffement climatique impose de limiter l’artificialisation des sols – capteurs de CO2 et réserves de biodiversité précieuses. De l’autre, la crise du logement s’aggrave. Il faudrait plus de 400 000 nouveaux logements chaque année pour y répondre. Pourtant, «réussir le ZAN [Zéro artificialisation nette] tout en réduisant le mal-logement : c’est possible !» clament de concert la Fondation Abbé-Pierre et la Fondation pour la nature et l’homme, dans un rapport copublié ce mardi 19 mars.
Des solutions existent déjà, plaident les deux fondations. Utiliser le bâti existant, construire des logements autrement, maîtriser les prix du logement et du foncier… Pour faire émerger ces quarante recommandations, elles se sont fondées sur l’expérience de seize collectivités déjà engagées dans des démarches de sobriété foncière.
La pression est forte pour les collectivités territoriales, avec l’objectif «zéro artificialisation nette» introduite par la loi Climat et Résilience adoptée en août 2021, soit diviser par deux d’ici 2031 le rythme d’artificialisation des sols, pour arrêter totalement en 2050. Plus de deux ans se sont écoulés, sans que la loi ne parvienne à infléchir le mouvement.
D’autre part, le gouvernement a multiplié des annonces centrées sur le logement intermédiaire, critiquées dans le secteur pour leur manque d’ambition numéraire et l’absence totale d’engagements sur le logement social. Il manquerait pourtant cette année 150 000 nouveaux logements sociaux, estime la Fondation Abbé-Pierre, engagée sur le mal-logement, contre 82 000 en 2023.
8,5 millions de biens sous-occupés
«On a appris à travailler avec les lunettes de l’autre», reconnaît Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé-Pierre. Un premier constat s’impose : utiliser le bâti existant est une nécessité pour espérer loger les 4,2 millions de personnes mal ou non logées. Qu’il s’agisse des 3,1 millions de logements vacants ou des 3,5 millions de résidences secondaires (18 % du parc à eux deux, précise la FNH), les leviers existent.
Il faut néanmoins distinguer les profils de propriétaires. Quand certains spéculent, d’autres ont hérité d’un bien et n’ont pas les moyens de faire des travaux, rapporte la ville de Roubaix, citée dans le rapport. En France, 10 % des ménages propriétaires détiennent ainsi plus de la moitié du parc de résidences secondaires. La fiscalité sur les logements vacants et les résidences secondaires pourrait ainsi être «progressive en fonction du nombre de biens vacants/secondaires détenus par un propriétaire et cibler en priorité la multipropriété», soutient le rapport.
Le cas particulier des 8,5 millions de logements sous-occupés mérite de s’y arrêter. Un peu moins de la moitié des ménages serait ainsi en situation de sous-occupation, avec au moins 2 ou 3 pièces de plus que la situation de référence. Ce nombre monte à 84 % pour les plus de 65 ans. «On a de nombreuses maisons construites dans les années 80 qui ne sont aujourd’hui habitées que par une ou deux personnes», constate la Communauté d’agglomération de Blois dans le rapport. Créer un programme d’expérimentation sur le «parcours résidentiel» semble ainsi nécessaire, avancent les deux fondations. Des seniors pourraient ainsi être incités à opter pour le béguinage ou bien un habitat partagé, leur donnant accès à des espaces de vie collectifs.
Vertical plutôt qu’horizontal
L’existant peut aussi être amélioré, par une «densification douce verticale», alors que 3 à 5 % du bâti d’une ville pourraient être surélevés, mais aussi «horizontale», dans un pays où l’urbanisation par pavillon individuel est reine et où 10 000 friches pourraient être réhabilitées. Dans un même souci de densification, le bâti neuf devrait être pensé sous forme d’habitats collectifs, d’immeubles, notamment sociaux et non plus à l’échelle individuelle.
Réhabiliter, densifier, bâtir autrement : la Fondation Abbé-Pierre et la Fondation pour la nature et l’homme s’accordent sur les priorités, qui sont également réglementaires. Toutes les communes de zones tendues qui le souhaitent devraient pouvoir encadrer les loyers, soutiennent-ils.
Mais il faut aussi que les moyens viennent de plus haut, dans le cadre du Fonds vert, annoncé sous Elisabeth Borne pour accélérer la transition écologique des territoires. «C’est très bien de remettre les clés aux collectivités, mais sans un Fonds vert ambitieux, on n’y arrivera pas», déplore Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la Fondation pour la nature et l’homme. Quelque 400 millions ont en effet été retirés au Fonds vert en 2024, parmi les 10 milliards d’euros d’économies annoncées par Bruno le Maire le 18 février. A quelques semaines de la présentation d’une loi sur le logement et à quelques mois de son examen fin juin, «il va falloir remettre ce sujet sur la table pour avoir une politique ambitieuse en matière de lutte contre l’artificialisation des sols et puis évidemment, en matière de lutte pour l’accès au logement», estime-t-il.