Menu
Libération
Logement

Passoires thermiques : un nouveau diagnostic de performance énergétique moins catastrophique que prévu

Cette évaluation renseigne désormais aussi sur la pollution émise et la facture énergétique. Plusieurs associations se sont mobilisées pour que le gouvernement revoie sa copie de départ.
Photo d'illustration (Philippe Huguen/AFP)
publié le 16 février 2021 à 12h43

La semaine débute avec une opération communication pour Emmanuelle Wargon. Lundi matin sur le plateau de LCI et dans le Parisien, la ministre déléguée chargée du Logement détaillait le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) pour lutter contre les «passoires thermiques», ces logements pas assez isolés. Le dispositif en vigueur depuis 2006 a été actualisé par le gouvernement. Désormais standardisé, le DPE se veut «plus lisible, avec plus d’informations». La version «relookée», dixit Wargon, sera obligatoire à partir du 1er juillet prochain.

La performance énergétique sera toujours classée de A (vert) à G (rouge) pour savoir si le logement est énergivore. Un logement classé F ou G sera qualifié de passoire thermique. Mais l’étiquette sera enrichie de deux précisions : le niveau d’émissions de gaz à effet de serre et une estimation de la facture annuelle d’énergie. Le calcul est désormais basé sur cinq usages au lieu de trois : le chauffage, l’eau chaude, la climatisation ainsi que l’éclairage et l’électricité nécessaire aux pompes et ventilateurs. Locataires et propriétaires pourront aussi demander des comptes si la consommation ne correspond pas à ce qui a été annoncé. Du côté des associations, on souffle un peu.

Modification in extremis

«On a évité la catastrophe, maintenant ça tient la route, c’est bien équilibré. Même s’il reste quelques règles tordues pas déterminantes», résume Olivier Sidler, porte-parole de l’association NegaWatt. Le ministère a longtemps travaillé sur une version très éloignée du résultat final. Dans un document publié en décembre après une concertation organisée par le gouvernement pour présenter sa refondation du DPE, douze associations alertaient sur «une réduction artificielle du nombre de passoires thermiques» ainsi qu’un «risque d’accroissement de la précarité énergétique». Le projet a été modifié in extremis début 2021.

Un point un peu technique faisait hurler les associations. Il était prévu que le DPE ne soit plus exprimé en énergie primaire mais en énergie finale. «C’était un avantage ahurissant donné à l’électricité, dont les consommations sont divisées par 2,5 quand elles sont exprimées en énergie finale, explique Olivier Sidler, . Tous les logements classés G et F chauffés à l’électricité remontaient ainsi dans le classement et n’étaient plus considérés comme des passoires thermiques. Comme si on réglait le problème en électrifiant tous les usages, ce qui peut multiplier les factures par deux ou trois, sans avoir à isoler les bâtiments.» Le ministère a fini par revenir à l’énergie primaire.

L’obtention d’un mauvais classement sera bientôt sanctionnée. A partir de 2023, les habitats les plus énergivores de la catégorie G seront interdits à la location. Il s’agit de ceux situés sous le seuil dit «de décence», fixé mi-janvier par décret à 450 kilowatt-heure par mètre carré et par an. Même si le gouvernement a renoncé aux 500 kWh EF / m² / an qu’il proposait initialement, ce seuil reste «bien trop élevé» pour le Cler-Réseau pour la transition énergétique. «Des logements à 450 kWh / m² / an, c’est de l’insalubrité, on est au-delà de l’indécence. On s’attaque à un tout petit morceau du problème», pointe la responsable de projets précarité énergétique de l’association, Marie Moisan, dans Bastamag. Environ 90 000 logements seraient concernés, soit seulement 2% des 4,8 millions de passoires énergétiques en France, pointe le Clerc.

Emmanuelle Wargon a de son côté rappelé que sa stratégie comprend plusieurs étapes. En 2025, l’interdiction de location sera étendue à l’ensemble de la classe G «soit 600 000 logements», puis en 2028 à la classe F «soit au total 1,8 million de logements». Les propriétaires n’auraient ainsi d’autre choix que de réaliser des travaux de rénovation énergétique.

Davantage de justice énergétique ?

Dès juillet 2021, le DPE sera aussi «opposable» : il permettra d’aller en justice pour exiger des travaux si le logement est trop énergivore. Les DPE trompeurs pourront aussi faire l’objet de poursuites. Le locataire ou propriétaire devra d’abord payer un nouveau diagnostic de sa poche, environ 200 euros. «Si le nouveau DPE n’affiche pas les mêmes résultats que l’ancien, par exemple une catégorie E au lieu de C, alors cette personne pourra se retourner contre le propriétaire du bien qu’elle loue, ou le propriétaire du bien qu’elle a acheté. Et demander une compensation. Ce même propriétaire pourra à son tour se retourner contre l’entreprise qui a effectué le diagnostic», déroule Emmanuelle Wargon dans le Parisien. L’annonce est accueillie avec scepticisme par les associations. «Les techniciens sur place auront toujours des interprétations différentes. Les juges risquent d’être incapables de trancher», selon Olivier Sidler de Negawatt, qui pointe le risque d’«engorger les tribunaux». Et encore faut-il que les locataires aient les moyens de mener des poursuites : certaines procédures peuvent durer deux ans, la précarité économique et la peur de représailles du loueur peuvent aussi dissuader. Le procédé pourrait surtout être utilisé par les acheteurs de biens pour obtenir des ristournes.