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Précarité

«Droit au logement d’urgence bafoué» : plus de 2 000 enfants dorment dans la rue en France, un chiffre en hausse selon l’Unicef

Le nombre de mineurs sans abri a progressé de 6 % par rapport à 2024 et de 30 % par rapport à 2022, selon un baromètre publié ce jeudi 28 août par Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité.

A Paris, le 11 juin 2025. (Pauline Tournier/Hans Lucas. AFP)
Par
Julien Grohar
Publié le 28/08/2025 à 8h44

«Plus personne à la rue» d’ici la fin de l’année 2017. C’était la promesse du tout juste élu président Emmanuel Macron, quelques semaines après sa prise de fonction. Huit ans plus tard, le constat est sévère : parmi les centaines de milliers de personnes sans abri partout en France, la part des enfants augmente. Selon le baromètre révélé ce jeudi 28 août par l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ce sont au minimum 2 159 enfants qui ont dormi dehors dans la nuit du 18 au 19 août, soit une effrayante progression de 30 % par rapport à 2022. Parmi eux, 503 avaient moins de 3 ans.

«La question de la mise à l’abri des enfants n’est pas en haut de la pile des priorités du gouvernement et ne l’a jamais été», déplore la présidente d’Unicef en France, Adeline Hazan. «Nous sommes dans une situation où même les femmes enceintes de moins de sept mois ne sont pas prioritaires», explique l’ancienne magistrate, qui déplore un «droit au logement d’urgence bafoué».

Fournis par les services du 115, le numéro d’appel pour un hébergement d’urgence, les chiffres du baromètre sont unanimement jugés largement sous-estimés par les associations. «On rencontre énormément de personnes qui ont cessé d’appeler le 115, car ils savent qu’ils n’obtiendront rien», raconte Alice Corrocher, coordinatrice de la branche parisienne d’Utopia 56. L’association, qui vient en aide aux personnes exilées, héberge chaque jour quelque 130 personnes dans ses locaux de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), dont plus d’un tiers sont des enfants. «Parmi ceux qui continuent à appeler, la majorité n’a même pas de standardiste au téléphone. Le réseau est complètement saturé», reprend l’associative.

Crise profonde

Et, selon un rapport de l’Inspection générale des finances publié en juillet, 61 % des personnes qui parviennent à joindre le 115 voient malgré tout leur demande d’hébergement non pourvue. Les chiffres d’enfants à la rue obtenus par les associations ne comptabilisent pas non plus les mineurs non accompagnés sans abri, pourtant nombreux.

Cette situation s’inscrit dans une crise profonde du logement en France. La construction de logements sociaux s’essouffle, les places en hébergement d’urgence viennent à manquer et les expulsions locatives explosent. «Il y a trois ans, on comptait 16 000 expulsions en présence des forces de l’ordre, rappelle Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre). L’année dernière, il y en a eu 24 000.» L’augmentation des prix du loyer et «la crise sociale» sont, selon lui, les causes de l’augmentation des impayés.

Les nouvelles politiques de régularisation, nettement raffermies par la dernière loi immigration et la circulaire Retailleau, empêchent des milliers de familles d’obtenir un titre de séjour, et donc, un accès à un logement social. Contacté par Libé, le cabinet de la ministre du Logement se défend d’être insensible au sort des enfants à la rue, et assure avoir œuvré pour le maintien des 203 000 places d’hébergement d’urgence qui existent en France. Tout en assurant que la saturation du dispositif est «évidemment en lien avec les phénomènes migratoires».

Hébergements d’urgence

L’entourage de Valérie Létard fait savoir à ce sujet que la ministre pousserait en direction de son collègue de l’Intérieur pour accélérer la régularisation des milliers de sans papiers dans des métiers en tension, et ainsi désengorger, en partie, les structures d’hébergement d’urgence. Rien cependant sur les 3,1 millions de logements vacants que compte la France (128 000 rien qu’à Paris) et la possibilité de les réquisitionner, à l’instar de ce qu’avait fait en 1995 Jacques Chirac, d’abord comme maire de Paris puis comme président de la République, pour combattre le mal-logement.

Si le nombre d’hébergements d’urgence a légèrement augmenté ces dernières années, les associations réclament un effort supplémentaire de 10 000 places, dont un millier pour les femmes enceintes ou sortant de la maternité. Elles critiquent également la faible construction de logements sociaux en France, et demandent «des objectifs ambitieux en termes de production de logements abordables» avec la construction de 200 000 logements sociaux par an, contre 85 000 l’année dernière.

Au ministère de Valérie Létard, on défend la poursuite du plan «Logement d’abord», qui vise à réduire le recours à l’hébergement d’urgence en privilégiant le logement stable. Une réforme «structurelle, engagée sur le long terme», mise à mal par les remaniements successifs et la possible chute du gouvernement Bayrou le 8 septembre.

«Le sans-abrisme est un phénomène systémique, en lien avec la crise du logement, du pouvoir d’achat, de la santé et de la protection de l’enfance», martèle la directrice générale de la FAS, Nathalie Latour. Et de marteler qu’«en France, des enfants naissent, vivent, et meurent dans la rue». En 2024, 31 y ont perdu la vie, soit un tous les douze jours.