C’est une polémique comme le réseau social X en produit de plus en plus, avec échauffements des esprits et torrents de boue à la clé. Après une visite presse du chantier d’un immeuble préempté par la mairie de Paris et destiné à accueillir des logements sociaux, l’adjoint au logement de la ville, le communiste Jacques Baudrier, a eu la mauvaise surprise de découvrir la publicité générée par son tweet : 580 000 vues en vingt-quatre heures, charriant dans leur sillage un paquet de commentaires indignés et d’insultes.
En cause, une récupération par les «saccagistes», ces opposants à la mairie socialiste qui se plaignent de la gestion de la ville sous le hashtag #SaccageParis, et l’entourage de Rachida Dati. Notamment le conseiller LR de Paris Aurélien Véron, porte-parole du groupe d’opposition Changer Paris, qui s’est fendu d’un tweet dans la foulée : «Bonne nouvelle : dix-sept ans après son achat, la mairie va enfin commencer les travaux dans son immeuble somptueux mais toujours vide de l’avenue George-V. 48 millions d’euros pour 23 logements sociaux… plus de 2 millions par appart. Tout. Va. Bien.»
«Un cumul invraisemblable de contre-vérités»
L’immeuble haussmannien de 3 600 m², situé au 37 avenue George-V, dans le très chic VIIIe arrondissement de la capitale, a accueilli pendant des années des bureaux, avant d’être préempté en 2008 par la mairie socialiste pour 17 millions d’euros en vue d’une transformation en logements sociaux. Après dix ans de recours contre le droit de préemption, l’immeuble est finalement devenu propriété de la ville avant d’être revendu 40 millions d’euros en 2023 au bailleur social parisien Paris Habitat.
Le chiffre qui a agité les opposants est le montant total de l’opération, 48 millions d’euros, rapporté aux 23 logements prévus. «Fake news totale, le mythe du logement social à 2 millions d’euros est totalement faux», a rétorqué mercredi devant la presse Jacques Baudrier. C’est sans compter la plus-value faite par la ville, la part apportée par le bailleur Paris Habitat, le financement de l’opération par la vente de sept logements privés dans l’immeuble et la location de 560 m² de surfaces commerciales à un prix très élevé en raison de l’emplacement dans le «Triangle d’or» parisien, près des Champs-Elysées. Bref, en tout, l’opération a rapporté 18 millions d’euros à la ville, a indiqué mercredi l’adjoint au logement. «Les chiffres ont été totalement sortis de leur contexte ! On parle d’un gaspillage d’argent public alors que c’est pile poil le contraire», s’étrangle l’élu, qui dénonce un «cumul invraisemblable de contre-vérités» et un «emballement de la fachosphère».
«A quoi ça sert de se crever la paillasse ?»
Car la polémique partie des réseaux sociaux a fait son chemin jusqu’aux médias Bolloré : le JDnews a repris la version d’Aurélien Véron, arguant que l’opération faisait «scandale». Dans son billet d’humeur dans la matinale de CNews, l’éditorialiste Romain Desarbres a quant à lui dénoncé ces «HLM de luxe» dans «l’un des quartiers les plus chers et les plus chics» de la capitale. En n’oubliant pas de faire dans le populisme : «J’entends également les Français se poser la question, ceux qui travaillent dur pour rembourser un prêt immobilier, à quoi ça sert de se crever la paillasse pour gagner de l’argent et se payer son logement alors que des mairies de gauche vous offrent des logements à loyer modéré financés par de l’argent public dans des quartiers de luxe ?»
Les classes populaires et moyennes n’auraient donc pas le droit aux moulures au plafond ? Rappelons que dans une ville où les moins riches peinent de plus en plus à se loger, le nombre de demandeurs de logements sociaux n’a jamais été aussi élevé : 292 000 ménages avaient déposé ou renouvelé une demande en 2024 pour environ 12 000 logements attribués, selon les chiffres de l’Apur. D’autant qu’à Paris, la construction neuve se heurte à la densité urbaine, d’où le besoin de réhabiliter le parc existant, expliquait au Parisien la directrice générale de Paris Habitat, Cécile Belard du Plantys, lors de la visite de l’immeuble : «Les conditions pour faire du logement social sont complexes à Paris. Là, nous faisons dans le déjà-là avec des opérations de transformation et d’adaptation, et c’est particulièrement vrai dans les arrondissements de l’ouest parisien où il n’y a pas de place pour construire de nouveaux logements.»
La maire LR du VIIIe arrondissement, Jeanne d’Hauteserre, a confirmé auprès de l’AFP que la ville n’avait «pas perdu d’argent». «En ce qui nous concerne […], nous ne déboursons rien et les logements sociaux permettront de loger des salariés de l’hôtellerie», a-t-elle indiqué. A l’heure actuelle, l’arrondissement ne compte que 3,9 % de logements sociaux.