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Inégalités

Une «chasse aux pauvres» : le projet de loi logement sous le feu des critiques

Présenté ce vendredi 3 mai en Conseil des ministres, le texte du ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, est éreinté par les associations, qui y voient une nouvelle attaque contre les plus modestes.
Manifestation contre les expulsions liées a la fin de la trêve hivernale, à Paris, le 1er avril 2024. (Noemie Coissac /Hans Lucas. AFP)
publié le 3 mai 2024 à 16h42

«Vous n’avez pas aimé la loi Kasbarian 1 ? Vous n’aimerez pas non plus la loi Kasbarian 2, le projet de loi “pour le logement abordable”» présenté ce vendredi 3 mai en Conseil de ministres. Ainsi ironisait dans la matinée Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, sur X. La loi Kasbarian 1 punissait les squatteurs. Sous couvert d’aider la classe moyenne à se loger, le texte de l’ancien député Renaissance, promu ministre délégué au Logement en janvier, se résume à une «chasse aux pauvres», attaque Domergue, en écho à un secteur tant associatif qu’universitaire vent debout.

A côté de mesures de simplification administrative ou renforçant le pouvoir des maires dans l’attribution des logements sociaux, deux articles (sur quinze), concentrent les critiques : l’article 1er, qui offre au maire la possibilité de déroger à la loi de Solidarité et renouvellement urbain (SRU) en intégrant une part de logements locatifs intermédiaires (LLI) dans leur quota de 20 % à 25 % logements sociaux. Et l’article 11, qui vise à «améliorer la mobilité dans le parc social», en favorisant les expulsions des ménages qui sont au-dessus des plafonds de ressources.

«Pays menacé de fragmentation sociale»

Déroger à la loi SRU ? «C’est un cadeau pour les maires qui ne veulent pas faire du logement social», estime Manuel Domergue. Sachant que sur les 2 100 communes françaises soumises à cette loi, 1 022, soit la moitié, sont hors des clous. Le plus mauvais élève étant la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), avec 95 % des communes en deçà de leurs objectifs, et 58 % sanctionnées par un arrêté de carence. En Paca, certains maires pourraient voir dans cette loi une aubaine pour ne pas construire des logements sociaux, et donc prendre leur part dans l’accueil des ménages les plus pauvres. Mais c’est aussi le cas à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), qui n’a construit que 2 034 logements sociaux quand il lui faudrait en construire 5 368 supplémentaires pour respecter la loi SRU, soit 2,6 fois plus que le parc existant, selon les calculs du doctorant Hugo Botton.

C’est pourquoi la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui représente les organismes HLM, voient dans ce projet de loi «un signal particulièrement malvenu dans un pays menacé de fragmentation sociale». Autre argument, l’intégration des logements locatifs intermédiaires (LLI) dans la loi SRU va bénéficier surtout aux cadres, au haut de la classe moyenne (jusqu’à 7 500 euros de revenus par mois pour un couple avec deux enfants dans des villes comme Lyon ou Lille) tandis que les «classes moyennes en difficulté, celles qui travaillent et n’y arrivent plus à la fin du mois, qui gagnent un à deux smic», n’auront plus accès au logement social alors qu’elles y sont éligibles. Dans ces conditions, «substituer du logement intermédiaire au logement social revient à faire reculer les chances des classes populaires et moyennes fragilisées d’accéder à un logement décent», regrettent ces acteurs du secteur.

«Délai de prévenance»

L’autre mesure controversée concerne la fin du logement à vie, marotte de la Cour des comptes qui juge – à raison – que la rotation dans le parc HLM est trop faible. Le ministère du Logement chiffre à 8 % les locataires du parc HLM hors des clous. Avec ce texte, «les surloyers s’appliqueront dès le premier euro de dépassement du plafond de ressources et non pas, comme aujourd’hui, en cas de dépassement de plus de 120 %. Et si le plafond est dépassé de 20 % pendant deux années de suite, le bailleur résiliera le bail automatiquement. Il y aura toutefois un délai de prévenance de dix-huit mois, pour que les locataires s’organisent», a expliqué Guillaume Kasbarian dans le Parisien.

Nouveauté, le patrimoine des locataires sera désormais pris en compte, et ceux qui, après vérification des bailleurs auprès de l’administration fiscale, seraient devenus propriétaires d’un «bien équivalent» répondant à leurs besoins, se verront désigner la porte. «Là encore, c’est une mesure de justice», fait valoir le ministre, qui précise que «le bail sera résilié après le même délai de prévenance de dix-huit mois, à l’exception, à nouveau, des personnes de plus de 65 ans et des familles avec enfants handicapés».

Tendance à la paupérisation du parc HLM

Combien de personnes sont concernées ? Le ministère s’est refusé à répondre, se contentant de rappeler que l’augmentation du taux de rotation d’un point permet de libérer 50 000 logements. Théoriquement, expulser ces «privilégiés» permettrait donc d’en libérer 400 000. Une goutte d’eau par rapport aux 30,4 millions de résidences principales en France. Est-ce là «le choc d’offre» promis par Gabriel Attal dans son discours de politique générale ?

Et puis, en pratique, va-t-on expulser des ménages qui contribuent à la mixité sociale dans les quartiers politique de la ville, à La Courneuve ou ailleurs ? Un tiers des 5,6 millions de HLM sont situés dans ces quartiers. Manuel Domergue le reconnaît : l’expulsion n’est pas beaucoup appliquée, car «les bailleurs sociaux n’ont pas envie de faire partir des gens qui paient leur loyer et ne posent pas de problèmes». Mais aussi parce que «les riches dans le logement social, il n’y en a pas tellement. Vous voyez les quartiers HLM ?» pointait Manuel Domergue vendredi matin sur RMC. Au contraire, depuis trente ans, la tendance montre une paupérisation du parc HLM : en 2022, 36 % des locataires d’un logement HLM étaient sous le seuil de pauvreté, contre 23 % des locataires du parc privé, et 15 % dans l’ensemble de la population, selon l’USH.