Elle s’y engage enfin. La ministre des Solidarités, Aurore Bergé, a annoncé qu’une loi de programmation sur le grand âge allait «voir le jour», dans un entretien publié ce vendredi dans la Croix. Cette promesse, tant attendue par la majorité des professionnels du secteur et par les parlementaires experts du sujet, devrait permettre de fixer «un cadre, des objectifs à atteindre d’ici à 2030 et des modalités de financement», a expliqué Aurore Bergé. A cette date, selon l’Insee, les personnes âgées de plus de 60 ans seront 20 millions. En 2050, elles représenteront un Français sur trois. Plus qu’un empilement de mesures réglementaires, ce bouleversement démographique – donc social, économique, sanitaire et solidaire – appelle depuis plusieurs années à une vision d’ensemble qui «porterait un projet sociétal», réclamait auprès de Libération l’ancien directeur de la Sécurité sociale Dominique Libault, auteur de deux rapports de référence sur l’autonomie, en janvier 2023.
A ce moment-là, il n’était encore question que de la proposition de loi (PPL) «pour bâtir la société du bien vieillir en France», initiée par des députés de la majorité pour poser une «première pierre», franchir «une première étape». Soit recycler la foule de rapports et de travaux parlementaires déjà produits sur le sujet. Et tenter d’estomper la déception suscitée par une autre promesse, celle du président de la République, qui s’était engagé en 2018 à faire advenir cette grande loi de programmation pluriannuelle, avant de la reléguer aux oubliettes. «J’ai entendu la demande des parlementaires, ils ont raison», a indiqué Aurore Bergé dans la Croix. Cette demande a en réalité pris des airs d’ultimatum bénéficiant d’un (rare) consensus entre majorité et opposition, lors de la réunion transpartisane qui s’est tenue le 26 octobre autour de la ministre des Solidarités, avenue Duquesne.
Des décennies de retard sur le sujet du grand âge
Hors de question que la PPL «bien vieillir» ne fasse office de «solde de tout compte», explique le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj, membre de la commission des affaires sociales : «Sans loi, ce sera sans nous», a-t-il averti. Aurore Bergé a répondu aux députés présents être «intellectuellement favorable» à l’élaboration d’un tel texte. En attendant, autant pour tenter de donner du crédit a posteriori au Conseil national de la refondation (CNR) sur le «bien vieillir» piloté par son prédécesseur Jean-Christophe Combe et jugé inutile par nombre d’acteurs du secteur, que pour faire oublier le retard pris sur le sujet (par les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies, par la macronie qui a planté sa PPL en rase campagne au printemps dernier), les projecteurs vont être braqués sur le foisonnement d’amendements que cette «petite loi» (selon Guedj) a déjà vu fleurir en son sein et qui devraient encore proliférer la semaine prochaine lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
«Au départ, il y avait 14 articles comme autant d’accroches sur différents thèmes, aujourd’hui, on en a 49 et il y en aura sans doute une soixantaine quand on aura fini. Vous en connaissez beaucoup des PPL comme ça ?» fait valoir la députée Renaissance de Seine-Maritime Annie Vidal. Et de vanter une loi «qui va être utile aux personnes âgées, aux aidants et aux professionnels, qui englobe beaucoup de sujets comme le renforcement de la prévention, la lutte contre l’isolement social et contre les maltraitances», soit «des axes forts qui vont amener des ajustements opérationnels, du practico-pratique qui peut être fait en attendant un projet de loi plus dense». Jérôme Guedj est moins enthousiaste : «Ça balaie tous les sujets mais ça reste faible sur l’adaptation de la société au vieillissement, sur la question de l’habitat, de la mobilité, il n’y a pas grand-chose sur la prévention non plus et concernant les prérogatives des mairies, le rôle qu’elles jouent sur le sujet, c’est très en deçà», juge-t-il.
«Comment on finance les 9 à 10 milliards d’euros estimés par le rapport Libault ?»
A la manœuvre depuis plusieurs années pour obtenir une loi de programmation, l’élu socialiste a surtout hâte de passer au cran supérieur : «On va pouvoir trancher les deux sujets qui fâchent : la question de la gouvernance entre les départements et l’Etat, et comment on finance les 9 à 10 milliards d’euros estimés par le rapport Libault ?» Pour cela, il va falloir «provoquer le débat» pour parvenir à s’exempter d’un fonctionnement au coup par coup, tributaire des PLFSS (projets de loi de financement de la Sécurité sociale) successifs : «Comment on s’y prend pour l’élaborer : est-ce que ça va être des prélèvements nouveaux ? Le redéploiement des crédits de l’assurance maladie ? Du financement privé ? interroge Guedj. L’histoire commence, c’est ça le vrai travail à accomplir.» Première brique : l’annonce ce vendredi d’une stratégie interministérielle du «bien vieillir», préliminaire à la fois communicationnel (au retour lundi de la PPL) et méthodologique, puisqu’elle associe au ministère des Solidarités pas moins de sept autres maroquins pour plancher de concert sur les dossiers.