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Homophobie

«Lundi sera bien plus difficile pour moi que pour vous» : une directrice d’école du Cantal se suicide après des menaces liées à son homosexualité

Professeure des écoles dans le village de Moussages, Caroline Grandjean s’est donné la mort lundi 1er septembre, jour de rentrée scolaire. Une enquête sur les injures dont elle était la cible avait été ouverte en 2024.

Plusieurs inscriptions comme «sale gouine», avaient été retrouvées dans l’établissement à partir de 2023. (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
Publié le 02/09/2025 à 10h55, mis à jour le 02/09/2025 à 16h32

«Elle a choisi de se donner la mort ce lundi 1er septembre, jour de la rentrée scolaire», indique un de ses proches sur X (ex-Twitter). Caroline Grandjean, directrice d’école dans le village de Moussages, dans le Cantal, a été retrouvée morte lundi matin à Anglards-de-Salers, près de son domicile, a appris Libération auprès de la gendarmerie ce mardi 2 septembre, confirmant des informations du Parisien et de France Info. La piste du suicide est privilégiée, selon le parquet d’Aurillac.

Cette directrice d’école lesbienne de 42 ans a été la cible d’insultes et de menaces homophobes pendant plusieurs mois. Des inscriptions comme «sale gouine» avaient été retrouvées dans l’établissement à partir de 2023.

Caroline Grandjean avait déposé plainte. Une enquête portant sur des faits d’«injure publique commise en raison de l’orientation sexuelle, menace de mort commise en raison de l’orientation sexuelle, dégradation ou détérioration d’un bien par inscription ainsi qu’intrusion dans l’enceinte d’un établissement scolaire», avait été ouverte en 2024. Elle «n’avait pas permis d’identifier les auteurs» et avait été classée en mars 2025 «en l’absence de nouveaux faits», d’après le parquet.

Le corps de Caroline Grandjean a été découvert lundi en contrebas d’un site escarpé d’Anglards-de-Salers. La gendarmerie précise à Libé que l’enseignante avait tenté de joindre les secours quelques minutes avant de mettre fin à ses jours. Cette même source précise qu’une enquête est en cours, confiée à la brigade de Saint-Martin-Valmeroux. Toujours d’après les gendarmes, la directrice d’école avait déjà tenté de mettre fin à ses jours par le passé.

Auprès de l’AFP, la procureure de la République d’Aurillac Sandrine Delorme a confirmé l’ouverture d’une enquête «en recherche des causes de la mort, afin de recueillir tous les témoignages et permettre à la famille d’apporter tous les éléments, même si l’acte ne pose pas de question particulière». Aucun écrit n’a pour l’heure été retrouvé, selon la magistrate.

«Broyée par l’institution, son village, ses parents d’élèves»

Dans un communiqué ce lundi, le ministère de l’Education nationale se dit «profondément touché par [son] décès» : «C’est un drame qui suscite une vive émotion au sein de la communauté éducative. Nos pensées et notre plus sincère soutien vont à sa famille, à ses proches et à ses collègues.» Le ministère précise qu’une cellule d’écoute a été activée ce 2 septembre dans la circonscription de Mauriac. «La Rectrice de l’académie de Clermont-Ferrand va saisir sans délai la formation spécialisée Santé, sécurité et conditions de travail départementale afin qu’elle puisse conduire les investigations et formuler les préconisations nécessaires», souligne encore le communiqué.

Le rectorat de Clermont-Ferrand a, lui, mis en avant l’«engagement» de cette professeure des écoles. Elle était «une figure respectée du Cantal», écrit la direction des services de l’Education nationale à l’échelon de l’académie, dans un communiqué. Et d’ajouter qu’«après des menaces anonymes en 2024, [Caroline Grandjean] était en arrêt, mais l’académie de Clermont-Ferrand suivait de près sa situation, préparant son retour en tenant compte de ses souhaits».

De son côté, le Syndicat des directrices et directeurs d’école (S2DE) affirme que l’enseignante a été «broyée par l’institution», ainsi que «par son village, par ses parents d’élèves». «Elle avait écrit sur un groupe de directeurs : “Lundi… sera bien plus difficile pour moi que pour vous”. Nous sommes dévastés», détaille le syndicat sur X. Son secrétaire général indique auprès de nos confrères du Parisien que le harcèlement que Caroline Grandjean a subi «l’a détruite» et qu’elle a «préféré dire stop. D’autant qu’elle n’a été soutenue ni par l’institution qui voulait la changer de poste, ce qu’elle a refusé, ni par la mairie qui trouvait que cette histoire faisait une mauvaise publicité au village».

Selon l’auteur de bande dessinée Remedium, qui a consacré un ouvrage à Caroline Grandjean, «Caroline aura tenté du mieux qu’elle pouvait de se reconstruire. Mais la blessure était trop profonde». Avec la BD Cas d’Ecole, «elle voulait crier au monde sa vérité, la vérité. Pour aller mieux, mais surtout pour ne pas laisser à l’éducation nationale le soin de parler d’elle à sa place», dit encore l’auteur sur ses réseaux sociaux. Remedium met par ailleurs en cause l’institution, arguant que «l’éducation nationale a planté les clous de son cercueil en n’assumant rien» et «allant jusqu’à porter plainte contre la bande dessinée, imposant à Caroline une audition au commissariat. Comme une coupable».

Mise à jour : à 16 h 32, avec l’ajout de déclarations du parquet.