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Education, inflation, immigration, retraites… Macron sur France 2 : l’urgent ne fait pas le bonheur

Invité ce mercredi soir dans l’émission «l’Evénement», le Président a vanté ses actions sans apporter de mesures nouvelles pour répondre aux multiples crises qui secouent le pays.
Emmanuel Macron dans l'émission «l'Evénement» sur France 2, mercredi 26 octobre. (Stephane Lagoutte/Myop pour Libération)
publié le 26 octobre 2022 à 23h01

Est-ce encore une interview ou une conférence du professeur Macron avec force graphiques produits par lui-même ? Mercredi 26 octobre sur France 2, dans la deuxième émission l’Evénement, consacrée, deux semaines après celle sur les questions internationales, aux «urgences françaises», le chef de l’Etat a déroulé sans grande contradiction une série d’assertions sur les bienfaits de sa politique. Sans beaucoup d’annonces non plus, du reste, mais toujours en invitant les Français à considérer les pays voisins et à se satisfaire de vivre mieux qu’eux. Décryptage.

Inflation : le flou

Le prix du poulet «a augmenté de 50 % ces dernières semaines». C’est cet exemple que le chef de l’Etat a choisi pour justifier la nécessité de poursuivre des aides ciblées vers les ménages «les plus modestes» et les «étudiants». L’alimentation est en effet devenu le premier contributeur de l’inflation depuis le mois dernier, devant l’énergie, selon l’Insee. Emmanuel Macron est, en revanche, resté flou sur le contour de ces dispositifs. Il a annoncé que l’Etat travaillerait avec les Crous, les restaurants universitaires et les associations, citant les repas à 1 euro pour les boursiers mis en place lors de la crise Covid. Les aides aussi seront prolongées sur les carburants, la ristourne de 30 centimes devant passer à 10 mi-novembre et disparaître à la fin de l’année. Un mécanisme ciblé sur «les gros rouleurs» devrait prendre le relais.

Salaires : pas d’indexation sur l’inflation

«Nous ne sommes pas une économie administrée», a martelé Macron, pour qui le débat «dans une entreprise sur le partage de la valeur créée est légitime, et même nécessaire. Mais ce n’est pas l’Etat qui doit le faire». «Vous avez des petites entreprises qui perdent de l’argent. Si je leur dis “vous devez augmenter les salaires”, elles n’y arriveront pas.» Et le Président de citer l’exemple de TotalEnergies qui «a consenti, par le dialogue social même si on a tous compris qu’il était musclé, des augmentations de salaires importantes», tout en faisant de la retape pour les mesures qu’il a mises en place : une défiscalisation partielle des heures supplémentaires directement inspirée de Sarkozy, qui va être «intensifiée», et une prime qui peut aller jusqu’à 6 000 euros, elle aussi défiscalisée – donc synonyme de recettes sociales en moins. Pour rappel, le montant moyen versé par les patrons l’année dernière, quand cette prime pouvait monter jusqu’à 3 000 euros, flirtait avec les 500 euros.

Par ailleurs, interrogé sur l’opportunité d’indexer les salaires sur l’inflation, tel que l’ont demandé ces dernières semaines la CGT ou certains députés comme François Ruffin (LFI), le président de la République a expliqué qu’il rejetait cette idée, sans s’attarder sur des solutions intermédiaires, comme l’indexation d’une partie des salaires. Le mécanisme d’indexation existait en France jusqu’en 1952 et a été arrêté en 1983 par François Mitterrand et son Premier ministre Pierre Mauroy, hormis pour le smic. «Ce n’est pas un hasard si un gouvernement socialiste l’a arrêté», a déclaré Emmanuel Macron, sans toutefois expliciter davantage son propos. «Je ne veux pas être démago», a-t-il aussi assuré, réitérant sa conviction : «Je suis pour les négociations salariales dans les entreprises.» Pourtant, ces dernières ne suffisent pas à obtenir des salaires cohérents avec l’inflation, puisque les premiers progressent deux fois moins que les prix.

Education : pour le pro

«Nos jeunes travaillent moins que les autres», a insisté Emmanuel Macron, avant d’enchaîner : «C’est la réforme de l’apprentissage, on doit aller au bout, c’est la réforme du lycée professionnel.» L’annonce de cette énième refonte de la voie pro a fait l’objet d’une forte contestation de la part des enseignants, qui y voient une façon de déporter encore davantage la formation de l’école vers l’entreprise. Ils alertent notamment sur les conséquences d’une augmentation des périodes de stage pour les élèves, risquant de rogner encore sur des enseignements généraux déjà fortement réduits par la dernière réforme de 2019. Un combat de fond se joue derrière ces logiques comptables : celui de continuer à ouvrir le champ des possibles aux élèves les plus défavorisés socialement. Les propos assertifs du président ce mercredi tranchent avec le récent rétropédalage du gouvernement sur le calendrier et les contours de cette réforme. Un coup dans l’eau ?

Retraites : à 65 ans en 2031

Qu’importe l’opposition unanime des syndicats, qui pointent tous ce qu’une telle mesure peut avoir d’injuste : Emmanuel Macron tient à reporter l’âge légal de départ en retraite de quatre mois par an à compter de 2023, en visant les 65 ans en 2031. Car c’est «le mandat» qu’il a eu, rappelle-t-il comme à chaque intervention télévisée. Selon lui, l’urgence financière l’impose aujourd’hui, contrairement à 2017 où, affirme-t-il, le Conseil d’orientation des retraites (COR) et le Comité de suivi des retraites (CSR) «disaient : “Il n’y a pas de problème de financement.”» Ce qui est faux : dans son rapport de 2017, le COR prévoyait, dans tous ses scénarios, un déficit du régime situé entre 0,5 et 1 % du PIB à compter de 2022. Et le CSR recommandait «au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de ramener le système sur une trajectoire d’équilibre».

Une nouveauté tout de même : pour la première fois, le chef de l’Etat s’est exprimé sur l’hypothèse d’un équilibrage du régime par une hausse des cotisations, qu’il a toujours exclue. Sa position n’a pas varié, mais cette fois il invoque un montant : selon lui, cela coûterait, en 2027, 400 euros par an à chaque salarié.

Sur le sujet, une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron a critiqué le comportement des entreprises et de leurs représentants. Il a dénoncé le «cynisme» de certaines d’entre elles, qui payaient des plans de départ anticipés pour faire partir leurs salariés les plus âgés. Ces comportements seraient l’une des raisons pour laquelle «certaines fédérations patronales» ne sont pas «pour la réforme» qu’il propose. Une allusion au manque d’allant du Medef lors de sa dernière université d’été en août à l’‘hippodrome parisien de Longchamp. Il a confirmé que le faible taux d’emploi des seniors en France était un problème : «En même temps que la réforme des retraites, il doit y avoir un dialogue social pour que les entreprises acceptent de changer les carrières et d’améliorer l’emploi des seniors.»

Santé : c’est la crise

Sur le volet de la santé, Emmanuel Macron n’a d’autre option que d’admettre ce constat criant : «Il y a la crise dans nos services hospitaliers et il y a la crise dans nos déserts médicaux S’agissant de l’hôpital public, en grande souffrance face au manque de moyens et de personnel, le chef d’Etat reconnaît que les «conditions de travail n’ont pas assez changé malgré le Ségur». Sa réponse face à des équipes qui ne cessent d’alerter sur la dégradation des soins dans leurs services hospitaliers ? «Mieux payer», sans pour autant parler de budget concret. «Redonner le pouvoir aux soignants», sans expliquer la méthode pour y parvenir. S’agissant de la médecine de ville, le Président souhaite permettre aux généralistes qui arrivent à la retraite de «continuer leurs activités et de garder tous les revenus […] sans payer de cotisations retraites nouvelles». «Je veux qu’on change ça parce qu’on a besoin de les garder», a-t-il exprimé. Une mesure qu’il souhaite voir discutée dans le cadre de la «grande concertation» lancée début octobre, par le biais du Conseil national de la refondation.

Ecologie : «Climat, industrie, souveraineté»

Dès le début de son interview, Emmanuel Macron a affirmé vouloir «préparer une nation écologique». Interrogé sur son objectif de vendre 100 % de voitures électriques en 2035, il a estimé que la France «a eu du retard» dans la production de ces véhicules, face à la Chine qui a mis le paquet il y a déjà dix ans. Il a rappelé l’existence d’une prime à la conversion, portée à 7 000 euros, et d’un bonus écologique, pour qu’un tiers des véhicules du parc auto français soient électriques d’ici la fin de son quinquennat. «On doit protéger notre industrie et réserver les aides aux véhicules produits en Europe», a-t-il assuré, disant croire en une réindustrialisation écolo. Son slogan : «Climat, industrie, souveraineté.» Tout en refusant de «stigmatiser» ceux qui continuent à rouler à l’essence ou à l’hybride, il a rappelé que plusieurs usines de fabrication de batteries électriques en France étaient sur les rails pour assurer une production locale.

«C’est bon pour le climat, ça pollue moins», argue-t-il. La voiture électrique n’est pourtant pas la solution miracle. Selon l’Ademe, elle est moins polluante qu’un modèle thermique à condition qu’elle soit légère et dotée d’une batterie moins puissante. Le Président a aussi fait allusion à l’ouverture prochaine d’une gigantesque mine de lithium (composant essentiel des batteries) dans le Massif central : «On n’a pas de pétrole en France [c’est faux, nous en avons, et une partie est exploitée, ndlr] mais on a du lithium», s’est-il félicité.

«Pour une bonne politique de prévention, il faut baisser les émissions», a aussi souligné le président Macron, faisant référence aux Zones à faibles Emissions (ZFE) qui visent à limiter progressivement la circulation des véhicules les plus polluants. Cette mesure est déjà en vigueur dans certaines grandes villes comme Strasbourg. Depuis le 1er janvier, l’Eurométropole interdit sur son territoire les voitures sans vignette et les diesels Crit’Air 5 (qui ont plus de vingt ans). Travail progressif : en 2024, ce sera au tour des diesels Crit’Air 4 d’être bannis, puis en 2025 des Crit’Air 3. L’Eurométropole pourrait pousser l’interdiction jusqu’aux Crit’Air 2 en 2028.

Mais changer de voiture a un coût. Comment le gouvernement compte accompagner les ménages ? L’Etat propose actuellement un bonus écologique ainsi qu’une prime à la conversion, sans compter la prime à la conversion des collectivités (baptisée «surprime ZFE»). Des aides cumulables mais pour lesquelles il faut cocher un certain nombre de critères. Reste à savoir si cela sera suffisant pour acquérir un véhicule sans un reste à charge important. Macron l’a assuré : «On ne doit laisser personne sans solution.»

Immigration : éloigner les étrangers «les plus dangereux»

Emmanuel Macron a préparé le projet de loi immigration qui doit être présenté au premier semestre 2023. Sur le sujet des obligations de quitter le territoire français (OQTF), largement débattu ces derniers jours depuis le meurtre de la jeune Lola par une ressortissante algérienne, il a affirmé vouloir «plus d’efficacité». «Ceux qui sont en situation illégale, on a énormément de mal à les renvoyer», a-t-il concédé. Le «taux d’exécution» des OQTF atteignait seulement 5,6 % pour le premier semestre 2021, un niveau historiquement bas. «On a durci le dialogue avec le pays d’origine. On leur a dit : “Si vous ne reprenez pas les gens, on va restreindre les visas.” Ça a marché parce qu’on a réussi à renvoyer chez eux 3 000 personnes», a vanté le chef de l’Etat. Il a souhaité mettre l’accent sur les étrangers «les plus dangereux» qui, selon lui, doivent être concernés en priorité par ces mesures d’éloignement.

Une manière aussi d’abonder dans le sens de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui plaide depuis plusieurs semaines pour une mesure permettant l’éloignement des «étrangers délinquants». Interrogé sur le lien entre immigration et délinquance, le Président a d’abord botté en touche, concédant que le sujet était complexe et qu’on ne pouvait pas faire «de généralisation». Avant d’estimer tout de même : «Quand on regarde la délinquance à Paris, la moitié des faits viennent de personnes qui sont des étrangers soit en situation irrégulière soit en attente.» Pas d’annonce donc, mais un avant-goût du débat à venir dans les prochaines semaines au Parlement.

Violences : droite dans ses bottes

«On a une société qui est de plus en plus violente» : Macron a adopté cette vieille rengaine droitière, tout en refusant de souscrire au concept d’«ensauvagement», cher à son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. A l’appui de cette déclaration vient une courbe, celle des coups et blessures volontaires enregistrés par la police et la gendarmerie : d’environ 200 000 faits enregistrés par an en 2008, contre 300 000 l’année dernière, selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). Ces enregistrements dépendent à la fois du nombre de faits, du degré de sensibilité de la population à ces faits, et de la manière dont les pouvoirs publics en font, ou non, une priorité.

Le Président avance que cette hausse est pour partie liée à la lutte contre les stupéfiants, mais aucune étude statistique ne valide cette déclaration. En revanche, l’autre raison de cette augmentation, qu’avance Emmanuel Macron, est, elle, bien constatée par le SSMSI : il s’agit des violences intrafamiliales. Du côté des victimes de coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus, le nombre de victimes de violences intrafamiliales enregistrées a bondi de 43 % depuis 2018 pour atteindre 157 000 victimes en 2021, selon le SSMSI. Trois ans après le Grenelle contre les violences conjugales, selon la dernière étude du ministère de l’Intérieur sur les morts violentes au sein du couple, le nombre de femmes tuées par leur conjoint ou leur ex a également augmenté de 20 % en 2021 par rapport à 2020, pour s’établir à 122. La promesse de campagne du Président de refaire de l’égalité la «grande cause du quinquennat» s’oppose à cette mention tardive et survolée de ce sujet crucial en pleine interview sur les «urgences françaises». Ce saupoudrage risque de ne pas rassurer les associations qui réclament un engagement, notamment budgétaire, fort du gouvernement pour ces cinq prochaines années.

Rémunération des grands patrons, le loupé

Dans cette heure d’émission, qui a abordé le partage de la valeur ajoutée, l’indexation des salaires sur les prix et l’inflation, il y a un sujet pourtant bien présent dans le débat public qui a brillé par son absence. Celui de la rémunération des grands patrons. La semaine dernière, le jour de la grève interprofessionnelle pour les salaires, Patrick Pouyanné, le PDG de Total, avait mis un message sur Twitter pour se dire «fatigué» par «cette accusation de “[s]’être augmenté de 52 %”», déclenchant une énième polémique. Et deux jours plus tard, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, avait considéré, sans citer une entreprise en particulier : «Chacun doit se poser la question quand on parle de salaire, de rémunération, de la “common decency”, qui pourrait être traduit par “décence élémentaire”.» Un autre responsable politique avait, lui, employé l’adjectif «abusif» pour qualifier la rémunération de Carlos Tavares, le PDG du constructeur Stellantis, lorsqu’elle avait été rendue publique au printemps dernier (19 millions d’euros en 2021, incluant parts fixe et variable). Il s’agissait d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle 2022. Il évoquait des «plafonds de rémunération qui pourraient être instaurés au niveau européen». «Sinon, à un moment donné, la société explose», considérait-il à cette époque.

Culture : ah non, rien