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Interview

Michael Stora : «Les modérateurs des réseaux sociaux peuvent développer une sorte de désensibilisation, de déni»

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Pour le psychologue Michael Stora, il est essentiel de mettre en place des séances de «débriefing» après le visionnage de vidéos violentes, et laisser la possibilité aux modérateurs de parler quotidiennement de ce qu’ils voient.
(Ugo Padovani/Hans Lucas)
publié le 14 janvier 2024 à 12h02

Quelles conséquences psychiques, sur le long terme, peut engendrer le visionnage à la chaîne de vidéos violentes ? Pour le psychologue Michael Stora, ces contenus peuvent faire écho à des traumatismes anciens et les réveiller, et également générer des troubles anxieux, aggravés par les conditions de travail fordistes de ces modérateurs.

Suicide filmé, meurtre, enfant battu, animal tué… Quel impact psychologique peut avoir le visionnage à la chaîne et quotidien de telles scènes ?

Le traumatisme, c’est le fait d’être passif face à une situation pour laquelle on ne peut pas agir. Lorsqu’on se retrouve confronté à une image qui nous apparaît comme violente, on est pris par une forme de sidération. Elle peut, à force, avoir un impact sur la santé mentale. Ces modérateurs sont des «éboueurs du Web», pour reprendre l’expression de la chercheuse américaine Sarah T. Roberts. Ils ont affaire à toutes les dérives de perversion, de violence. Ces personnes ont assimilé des notions de morale et d’attention au corps de l’autre qui vont être mises à mal par le visionnage de vidéos immorales. Ce qui va créer une sorte de dissonance cognitive. On pourrait évidemment se dire que ce visionnage à la chaîne est traumatique, mais en réalité, pour ces modérateurs, le fait d’interdire ces vidéos donne un sens à leur travail et les transforme en rempart face à quelque chose de traumatisant. Néanmoins, cela peut faire écho à quelque chose que le modérateur a déjà lui-même vécu. C’est donc