En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.
«J’étais comme les garçons hyper confiants»
Catrine, 18 ans, étudiante, Paris
«“Vous voyez ça ? C’est absolument pas ce genre de passe qu’il faut faire.” Voilà ce qu’a dit ma professeure d’EPS devant tous mes camarades, en cinquième, quand j’ai montré comment faire une passe en volley. J’ai eu honte. J’ai rougi. Au collège, les cours d’EPS m’ont persuadée que le sport, ce n’était pas pour moi. Chaque séance se passait de la même manière. Les garçons étaient constamment nommés chef d’équipe. Même s’il ne fallait pas “que ce soit toujours les mêmes”… Ensuite, chaque capitaine choisissait les plus forts. Les autres soufflaient à leur chef des remarques comme : “Choisis lui, ça se voit qu’il est plus fort que l’autre.” Puis, je voyais bien qu’ils ne choisissaient plus en fonction des critères sportifs, mais de l’apparence. “Je préfère elle que les deux autres”… J’avais l’impression qu’on était dans une compétition de beauté malsaine.
«Lorsque les matchs démarraient, il fallait des remplaçants. Aucun garçon ne voulait être sur le banc. Ils demandaient aux filles : “T’es sûre que tu veux jouer, toi ?” On avait hâte d’être sur le terrain, mais on finissait sur le banc des doublures. Je me disais que je n’étais sûrement pas douée. Je n’attendais plus qu’on me pose la fameuse question : j’allais directement sur le côté. J’y retrouvais mes copines de banc. Elles me disaient souvent en plaisantant : “Ça va être l’heure de permanence.” Jusqu’à la fin de mes années collège, je n’ai joué qu’un match sur quatre. Mes rares fois sur le terrain, si je faisais des mauvaises passes, c’était la fin du monde. Les garçons me prenaient de haut : “T’es sûre que tu connais les règles de ce sport ?”, “Je vais te montrer ce qu’est une vraie passe.” Lorsqu’un garçon ratait son coup, les mêmes le rassuraient en affirmant que c’était une situation “qui pouvait arriver”. Et l’enseignant n’intervenait presque jamais. Je me suis investie en maths et en français. Là, personne ne me disait que je n’avais pas ma place.
«En troisième, dès que les barrières sanitaires ont été assouplies après le Covid, j’ai eu envie de faire de la course. Je ne voulais pas de sport collectif. Je me suis tout de suite sentie plus libre. Personne ne m’imposait le nombre de kilomètres à réaliser ou d’aller plus vite. J’étais comme les garçons hyper confiants de ma classe de collège. Au fil des courses, j’étais capable de faire le tour du parc départemental. Ça m’a pris un peu plus d’un an et demi, mais j’étais assez fière de moi. En terminale, j’ai retrouvé le demi-fond parmi les différents menus proposés au baccalauréat d’EPS. Les courses en seconde m’avaient donné confiance en moi. J’ai fini par avoir 15 au bac de sport. Je n’étais plus la remplaçante, plus la nulle du cours d’EPS.»
«Après ma blessure, j’avais renoncé à tout espoir»
Quentin, 15 ans, lycéen, Torcy (Seine-et-Marne)
«Quand je touche une balle, il m’arrive encore d’avoir mal. La douleur est éphémère, une demi-seconde, mais je continue quand même. La saison dernière, une blessure a failli me faire lâcher prise au volley. Je l’ai soignée avec du repos et sans médicament. Je suis dans un club de volley depuis trois ans. Celui de Torcy. C’est un assez gros club permettant de monter à de hauts niveaux, comme les compétitions nationales. Je m’y plais. Pendant un entraînement, je me suis blessé. J’étais loin d’être le meilleur de l’équipe. J’étais le remplaçant des réservistes. L’image que je me faisais de moi était celle d’un joueur médiocre avec peu de chances de réussir à quitter ce banc pour aller jouer sur le terrain. Pendant une attaque adverse, j’ai sauté et j’ai mis mes mains afin de bloquer cette balle. En retombant sur mes pieds, j’ai ressenti une douleur à la main. Le déni a duré une petite seconde. Celle d’après, la torture a commencé à régner sur mon doigt. Elle m’a arrêté net de jouer. J’ai quitté le terrain. J’ai téléphoné à ma mère et nous avons passé la soirée à l’hôpital. Résultat : une entorse et un arrêt du volley jusqu’à la fin de saison. J’étais dépité. Me priver de mon échappatoire pendant des mois, c’était impossible !
«Les vacances passent. Une nouvelle saison débute. J’ai une peur énorme de reprendre en ayant perdu tout mon niveau. La peur d’encore être mis de côté. J’avais renoncé à tout espoir de rejoindre les plus grands. J’hésite à renouveler ma licence. Je réfléchis des heures. Je m’imagine devoir abandonner mes projets de futur joueur titulaire. Ma détermination prend le dessus. Je décide de faire une nouvelle saison. Nous sommes 30 dans ma catégorie, la M18. L’entraîneur, que je connais très bien, décide de faire deux équipes. La 1 est la meilleure. L’entraîneur connaît ma blessure. Il me met en équipe 2, avec comme objectif de monter en une. Un nouveau coach arrive dans le club. Le meilleur, selon moi. Je lui parle de mes problèmes. Je me souviendrai toujours de la phrase qu’il m’a dite ce jour-là : “Malgré ta blessure, je t’accompagnerai dans ton évolution.” Il fait de moi son “apprenti”. Il me change de poste, améliore mes mouvements. Il m’engueule, certes, mais ça me motive.
«Aujourd’hui, je suis capitaine d’une superbe équipe, un des meilleurs joueurs, le meilleur attaquant. Je suis fier de mes coéquipiers, et fier de porter le numéro 7. J’ai la meilleure détente, selon mon entraîneur. Je ne suis sûrement pas celui avec le plus de force, mais j’ai une vision de jeu que d’autres n’ont pas et qui me permet de viser aux endroits où personne n’est. La douleur est encore présente, malgré le strap autour de mon doigt pour éviter un nouvel impact. Quand je joue, en plus d’avoir peur de perdre, j’ai peur de la blessure. J’ai toujours cette peur de redevenir ce joueur médiocre. Je joue actuellement en niveau départemental. C’est loin d’être le niveau que j’attends. J’espère rejoindre les meilleurs, et pourquoi pas jouer en équipe de France. Mon adversaire principal est sur le bout de mes doigts.»
«Je suis vite hors de moi»
Fayed, 21 ans, étudiant, Ile-de-France
«Un jour, avec des amis, on fait un match (de foot) 3 vs 3. C’est assez tendu. Mon pote qui joue dans l’équipe adverse est agacé de perdre. Et moi je suis fatigué de me prendre des coups. A un moment, je reçois un coup au genou et je réclame une faute. Mon pote me la refuse, alors je le pousse. Il y a une bagarre et tout le monde se précipite pour nous séparer. Bien sûr, on s’est réconciliés plus tard mais, ce jour-là, j’ai compris qu’il fallait que je prenne sur moi pour éviter de blesser les autres. C’est dur. En sport, je suis vite hors de moi. Je suis à fond, je peux péter un câble. Je perds toute notion de calme et de respect et, comme je suis émotif, je donne tout. S’il y a un truc qui ne me plaît pas, ça va se savoir et se voir. Une partie de moi part. Comme si j’étais une autre personne.
«Le rapport que j’ai à la compétition, c’est abusé. Mes coachs m’ont toujours dit qu’il fallait que je gère mes émotions. J’ai déjà été front contre front avec l’un d’eux. Si l’arbitre siffle une faute et qu’il n’y a pas faute, il y a toujours un coéquipier ou un pote qui me met la main sur la bouche pour que je la boucle. Pour m’éviter un avertissement ou une exclusion. Ma relation avec le sport est remplie d’amour et de colère, dans n’importe quel sport : foot, volley, hand, basket, rugby, même en athlétisme. Je sais qu’il faut que je me contrôle, mais c’est comme un combat contre ma propre personne. A mes yeux, le sport ce n’est pas qu’un loisir, c’est un truc sérieux.»
«Quand je danse, je me sens vivre et mourir»
Joyna, 22 ans, étudiante, Paris
«Fermer les yeux, sentir chaque partie de mon corps qui bouge, rapidement, puis lentement, sur une musique rythmée, saccadée. La danse est mon sport, mon adrénaline, ma vitamine, mon souffle. Quand je danse, je respire, je bouge et je me sens en lien avec tout ce qui m’entoure, l’eau quand je transpire, le vent qui danse avec mes mouvements, la terre qui ressent mes pas, le feu qui brûle dans mon cœur quand je m’essouffle et me fatigue sans m’arrêter de bouger. Quand je danse, je me sens voler, libre, je frissonne à chaque rythme, chaque mouvement, chaque impact sonore. Quand je danse, je me sens toucher le ciel, mais aussi m’enfoncer dans la terre. Quand je danse, je me sens pleine et vide, je me sens vivre et mourir, ressentir l’espace autour de moi. Sans la danse, j’ai mal à l’âme.
«Depuis toute petite, j’ai grandi avec l’art de la musique. Quand mes parents se sont rencontrés, ils jouaient dans le métro, ma mère chantait, mon père jouait de la guitare. J’ai enchaîné les cours de danse : classique, modern jazz, contemporaine, un peu de flamenco et du hip-hop. Plus je grandissais, plus les cours devenaient chers. Je n’ai donc pas pu continuer. Petit à petit j’ai sombré, mentalement et physiquement. Je ne dansais plus, je ne sentais plus aucune connexion avec la musique, j’étais comme un zombie.
«Pour mes 18 ans, une amie m’a invitée à un festival caribéen. C’est là que je me suis sentie revivre ! Reconnectée à mes racines, à la musique, à la vibration du son dans mes membres. Pendant deux jours, je me suis enfin sentie MOI ! Depuis, je danse dès que j’en ai l’occasion, le plus souvent possible. J’ai acheté une enceinte et un casque. La musique me suit partout du matin au soir et de la tête aux pieds. Dehors, en boîte, chez des amis, seule ou à plusieurs, chez moi ou ailleurs, partout, sans contrainte, sans pression, sans condition, je danse ! C’est la vie, c’est ma vie.»
«Le foot en club, ça clashe»
Ryan, 26 ans, étudiant, Ile-de-France
«“T’es nul”, “Arrête le foot”, “Tu pues la merde”… ça commence doucement et ça finit en pires injures. Comme dans plein de clubs de quartier que je connais, les insultes, c’est commun. Surtout pendant les entraînements. La pression est tellement forte que les joueurs ont peur de rater une passe ou un contrôle au risque d’être pris pour cible. Un jour tu marques un but, tu es trop fort. Le lendemain tu l’as manqué et tu pues ta race. J’ai fait ma première licence à l’âge de 10 ans dans le club de foot de ma ville, un club de quartier, avec une très forte culture de la gagne, dans chaque catégorie et dès le plus jeune âge. Une fois sur le terrain de foot, il n’y a plus d’amitié. Ce sport d’équipe devient totalement individualiste. Les encouragements se transforment vite en reproches, en insultes et même en harcèlement. Le summum, c’est dans les vestiaires. Là, ça devient limite un abattoir où des joueurs n’hésitent pas à se liguer contre un autre qui est supposé avoir été “nul” ou “le plus nul”. Les entraîneurs n’y font pas attention. Ils sont habitués. Eux-mêmes ont vécu ça quand ils étaient joueurs.
«Pendant les matchs, c’est moins intense. Car les coachs, qui ont besoin d’unifier leur équipe, ne le tolèrent pas. Mais surtout parce que les “nuls” en entraînement ne sont pas sélectionnés en match. J’ai eu la chance de ne pas trop subir, car j’étais plutôt bon et, surtout, parce qu’il y avait toujours plus “nul” que moi. Ce qui est triste, c’est que moi-même je me suis moqué d’un coéquipier. J’ai connu des joueurs qui ont fini par changer de club ou pire encore, par arrêter le foot. C’est disproportionné. Je suis fan de foot, mais le foot n’est pas un jeu. C’est un sport ingrat. Même dans une équipe de niveau départemental. La seule chose qui compte, c’est la gagne. Ceux qui n’ont pas cette mentalité seront tout simplement exclus, parce que personne ne veut d’un joueur qui veut juste s’amuser. Et plus tu montes, plus il y a d’insultes car il y a plus à gagner et… à perdre.»
«Un mental d’acier»
Gaia, 15 ans, lycéenne, Saint-Germain-en-Laye (Yvelines)
«Grâce au sport, je me suis forgée un mental. Souvent, j’ai continué l’effort même si cela paraissait impossible. Mes parents m’ont mise au tennis dès mes 4 ans. C’était important pour eux que j’apprenne à me donner à fond afin de découvrir mes réelles capacités physiques et mentales. J’ai accroché et j’ai rejoint la compétition à 8 ans. La pression mêlée à l’idée de me retrouver seule m’angoissait. Je ne trouvais pas ma place là-bas, mais je continuais à y aller tous les mercredis, la boule au ventre. Je n’ai jamais parlé de cette angoisse à mes parents : ils m’auraient dit d’y aller quand même.
«Je n’abandonne jamais. Je vais au bout avec une idée en tête : à la fin, je serai contente de l’avoir fait. Je me le répète quand on doit courir le plus vite possible pendant au moins vingt minutes. Mes coachs me crient de ne rien lâcher. J’ai l’impression que mes jambes vont céder à tout moment, mais je ne lâche rien. Cet état d’esprit m’aide à persister dans mes efforts et à me connaître davantage. Lors des révisions pour le brevet l’année dernière, par exemple, j’ai passé des journées à travailler, même si ma seule envie était de sortir avec mes amis qui avaient abandonné les révisions depuis longtemps.
«Aujourd’hui, je suis beaucoup plus ouverte aux activités pour lesquelles je n’aurais pas été très confiante, par peur de ne pas y arriver. La seule façon de savoir, c’est d’essayer. Et de tout faire pour y arriver. Je suis fière d’avoir transmis cet état d’esprit à ma mère. Un jour, elle ne trouvait pas la motivation pour faire ses 60 km de VTT habituels avec son groupe de vélo du samedi. “C’est trop dur, c’est long, et je ne m’amuse même pas”, me disait-elle. Je lui ai lancé : “Force-toi à rester jusqu’au bout et tu te remercieras de l’avoir fait quand ça sera fini.” Elle est revenue le soir avec un grand sourire, en me disant : “Tu avais raison.”»