En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep. media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.
Dans les pompes de Tibo InShape
Etienne, 16 ans, lycéen, Ile-de-France
«Le CrossFit rythme mes journées et mes repas. Plus qu’un loisir, c’est devenu une façon de rester en forme, avec une fonction presque médicale de prévention. J’ai commencé en cinquième. Chaque jour, j’en fais pendant une heure. Des pompes, des mountain climbers, des planches spiderman. Je peux tenir en planche sept minutes ! J’effectue les parcours que le youtubeur Tibo inShape a élaboré sur sa chaîne. J’ai aussi découvert d’autres youtubeurs français et étrangers, comme Chris Heria. Mes parcours incluent des haltères et un banc, mais les exercices à poids du corps restent les plus communs. Depuis la troisième, je fais aussi attention à ma nutrition. Ces mêmes youtubeurs soulignent l’importance de manger des protéines pour générer de la masse musculaire, d’intégrer plus de calories que d’en dépenser, de manger certains aliments, comme le thon ou l’avocat. Leurs conseils quant au temps de sommeil m’ont aussi permis de prendre de bonnes habitudes. Plus de Nutella, de lait concentré, plus de bonbons, plus de Trésor, de Yop, de pain de mie…
«Ma mère s’inquiète pour ma croissance et mes articulations. Elle m’a demandé à plusieurs reprises de réduire ma pratique du CrossFit et de reprendre une fois plus grand. Mais les sensations d’épuisement et de bien-être en arrivant dans mon lit et la fierté d’appartenir à une nouvelle communauté, celle du CrossFit, sont trop précieuses pour que je me résolve à les laisser de côté. Que je fasse partie d’une communauté alors que j’effectue ce sport seul chez moi peut paraître étonnant pour beaucoup. Mais, chaque jour, je retrouve les youtubeurs que j’ai laissés la veille. J’ai l’impression d’avoir rencontré des gens. Je retrouve leur bonne humeur et leur positivisme. Mon temps de sport, c’est presque de la méditation. C’est un moyen de m’échapper, l’espace d’une heure, des contraintes quotidiennes.»
L’e-sport, un sport
Emeth, 23 ans, étudiant, Paris
«Ce matin, je vais à la salle de sport. Je dois performer et être à l’aise avec mon corps. Je dois le façonner, le connaître dans ses moindres recoins. J’y vais à pied avec mon sac, mon cadenas, ma serviette, une bouteille d’eau et ma musique. Je travaille surtout mon renforcement musculaire, car j’ai besoin d’être léger, rapide mais solide. Pour le mental, la salle m’aide à rester zen et me donne le temps de réfléchir : comment gagner, quel style de jeu adopter, quels points travailler…
«Quand l’entraînement est fini, je rentre, je me fais un grand bol de pâtes pour reprendre un peu d’énergie, puis je lance une partie et je joue. Je joue pour la victoire, pour être en haut, tout en haut de mon sport… l’e-sport ! J’ai commencé par la Game Boy, puis la Nintendo DS, la GameCube. Ensuite, j’ai eu la Wii puis la Xbox 360, en passant par la PSP, jusqu’à acheter mon premier PC. Je ne suis pas le meilleur joueur au monde, mais j’en ai fait mon quotidien. Et je prends ça très au sérieux. C’est comparable à l’esprit des échecs ou du jeu de go. Avec en plus des aspects mécaniques de mouvement et de coordination, une dimension stratégique plus ou moins poussée, en solo ou en équipe.
«J’ai l’impression d’avoir eu une console avant mon premier ballon, même si c’est faux. Jusqu’à mes 12 ans, je faisais du sport, tous les sports, du foot surtout. Ça pouvait durer des heures. Je rivalisais avec les grands et j’étais rapide. Mais, un jour, on m’a diagnostiqué la maladie de Kawasaki, qui touche le système respiratoire, les artères du cœur et provoque de l’urticaire. J’ai arrêté le sport physique, mais je me suis mis à fond dans l’e-sport, qui se pratique à haut niveau.
«Une saison est rythmée par des événements majeurs en ligues amateur, semi-pro et pro à l’échelle d’un pays ou du monde. Ça demande d’énormes capacités de concentration. Il faut y passer beaucoup de temps pour développer des gestes techniques propres à chaque jeu, comme Rocket League, Valorant ou encore League Of Legends. Le mental et la tactique priment pour savoir innover et analyser les parties. Dans les jeux de tir, la précision est importante. Il y a aussi l’aspect tactique : comment rentrer sur un site, poser la bombe, choisir l’équipement, la composition du personnage, les systèmes de rotation au sein de l’équipe. Il faut savoir communiquer et imposer son rythme pour déstabiliser l’équipe adverse et garder son sang-froid. Ça peut être tendu. Je suis à 100 %. Le moindre bruit extérieur m’empêche de performer. Il faut avoir les bons coéquipiers.
«Il faut sans cesse contrôler tes émotions. La mécanique, c’est la coordination entre tes deux mains et le regard. C’est très mental. C’est aussi physique. Tu tiens ta souris. Il y a ta manière de t’asseoir sur ta chaise face à ton écran. Tu mets tout ton corps au service de tes bras, de tes yeux et tes oreilles. Ce n’est pas la même dépense que le sport physique, mais c’est le même esprit de compétition.»