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Disparition

Mort de Jacques Sigot, l’instit-historien qui ressuscita la mémoire des Tsiganes

«Entier», «érudit» et «haut en couleur», l’instituteur de profession et historien par passion avait découvert, en 1980, les vestiges de l’un des plus grands camps d’internement de Tsiganes de la Seconde Guerre mondiale, dans le Maine-et-Loire. Ses travaux pionniers firent renaître une histoire occultée. Sa mort, à l’âge de 84 ans, a été annoncée ce 30 août.
Jacques Sigot chez lui à Montreuil-Bellay, en octobre 2016. (Loic Venance/AFP)
par Maxime Pionneau, Correspondant à Angers
publié le 30 août 2024 à 17h57

En juin, dans le cadre d’un reportage sur le camp d’internement de Montreuil-Bellay – commune de 4 000 habitants du Maine-et-Loire –, nous avions demandé quel hommage serait rendu à Jacques Sigot après son décès. Nous savions l’octogénaire malade et pas dans l’état de répondre à nos questions sur ce qui a été le combat de sa vie. Cet instituteur de profession (mais historien par passion) a fait émerger l’histoire oubliée d’un camp où 1850 Tsiganes furent internés pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur les vestiges de l’endroit, qui se résument à quelques marches et une cave, son ami Jean Richard, dont 17 membres de la famille ont été internés, avait sursauté : «Faut pas parler de ça, laissez-le tranquille !» Le maire de la commune, Marc Bonnin, avait ajouté : «Forcément qu’il y aura un jour une reconnaissance.» Ce jour est venu.

«Un pionnier»

Vendredi 30 août, le décès de Jacques Sigot, à 84 ans, a été annoncé sous la forme d’un avis d’obsèques publié dans la presse locale. Si l’homme s’était fait discret ces dernières années, son travail est reconnu bien au-delà de Montreuil-Bellay. «Dans les années 90, il n’y avait pas d’étude universitaire sur l’internement des Tsiganes, explique l’historienne Marie-Christine Hubert, coautrice des Tsiganes en France : un sort à part,1939-1946 (Perrin, 2009). Il a été le premier à avoir eu accès à des archives qui n’étaient pas ouvertes ou classées, et il a retrouvé beaucoup de témoins : des anciens internés ou du personnel surveillant.» L’historien Emmanuel Filhol estimait, en juin, que «Jacques Sigot a fait œuvre de pionnier». Pour Virginie Daudin, directrice du Centre régional Résistance et Liberté, dans les Deux-Sèvres, «la connaissance de l’histoire du camp ne serait pas celle qu’elle est sans ses travaux».

Débarqué en Anjou dans les années 70, il découvre les vestiges du camp en avril 1980. Croyant d’abord aux décombres d’une usine, il comprend qu’il s’agit des restes d’un des plus importants camps d’internement français pour Tsiganes de la Seconde Guerre mondiale. Une histoire refoulée que Jacques Sigot s’est évertué à mettre en lumière malgré les réticences initiales des sédentaires locaux comme des anciens internés. «C’est une période que les communes veulent oublier», précise Marie-Christine Hubert. Une histoire qui est aussi celle des politiques publiques tsiganophobes qui trouvent leur acmé pendant la guerre. Pour récolter la parole d’anciens internés, Jacques Sigot a su gagner la confiance de deux voyageurs devenus des amis, Jean Richard et Jean-Louis Bauer (aujourd’hui décédé). Au passage, il hérite d’un surnom : «Tchopa». Celui qui ouvre et qui protège.

«Un libertaire à tout prix»

En 1983, Un camp pour les Tsiganes et les autres est publié par les éditions Wallâda. Pourtant, la reconnaissance des sévices vécus par les internés prendra du temps. En 1988, les pouvoirs publics refusent de financer une stèle. En 2016, François Hollande se rend sur place et qualifie l’homme à la barbe blanche de rien moins qu’un «grand historien». Consécration d’un travail de quarante ans : en 2026, un mémorial, porté par la municipalité de Montreuil-Bellay, doit voir le jour. «C’est triste qu’il disparaisse aujourd’hui», réagit William Acker, délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens et arrière-petit-fils d’internée. L’air de rien, c’est tout un pan oublié de l’histoire de France que l’historien amateur a révélé.

Ceux qui ont connu Jacques Sigot sont unanimes pour décrire un homme engagé contre les injustices et d’une ténacité à toute épreuve. «C’était un personnage entier, très abordable et quelqu’un d’érudit qui travaillait beaucoup», se rappelle Marc Bonnin, maire de Montreuil-Bellay. Pour Marie-Christine Hubert, «c’était un personnage haut en couleur, un bon vivant qui avait des convictions très fortes». Virginie Daudin se souvient, elle, de «sa ténacité et de son audace». Son éditrice, Françoise Mingot, décrit «un libertaire à tout prix», qui «physiquement avait quelque chose de Tolstoï». Latcho Drom, Tchopa.