On l’aimait beaucoup, libre et joueur qu’il était. Il adorait la vie, faire la sieste, discuter politique ou football, s’engueuler puis se réconcilier. Avec son ami Serge, il passait des nuits à jouer au poker. Il oubliait tout le temps de payer ses amendes de stationnement, à la grande fureur de ses amis qui devaient le dépanner. Il était surtout un journaliste précis, loin des clichés, remarquable relecteur de papiers. Bref, Lanfranco était Romain jusqu’au bout des ongles…
Pendant près de quinze ans, il a été journaliste à Libération, de 1984 à 1997, d’abord au service Economie, puis il a dirigé le service Société. Quinze ans, le temps que ses affaires judiciaires se soient réglées en Italie. Au journal, il parlait peu de ce passé. On n’avait jamais tout à fait compris ce qu’on lui reprochait. Né à Fagnano Alto (L’Aquila) le 1er janvier 1947, Lanfranco Pace s’est engagé très vite, vivant alors au plus près les secousses violentes des mouvements estudiantins. Il a fait partie du comité étudiant de l’Université Sapienza de Rome en 1968, entrant en contact avec Oreste Scalzone et Franco Piperno, les deux fondateurs de Potere Operaio. Et il sera plus tard l’un des dirigeants de ce mouvement extraparlementaire.
Lors de l’enlèvement d’Aldo Moro, au printemps 1978, Pace et Piperno tentent d’entrer en contact avec les membres des Brigades rouges qui le détiennent, tentant de sauver la vie du président des démocrates-chrétiens italiens. Quelques mois plus tard, dans le cadre du «Procès du 7 avril» (1979), le procureur du parquet de Padoue, Pietro Calogero, ordonne l’arrestation, entre autres, de Toni Negri, Emilio Vesce, Oreste Scalzone, mais aussi de Lanfranco Pace, reprochant à ce dernier ces contacts lors des négociations sur le cas Aldo Moro. Lanfranco s’est réfugié alors en France. En 1990, bien que les accusations les plus lourdes portées contre lui aient été abandonnées, Pace a été définitivement condamné à quatre ans de prison pour association subversive, peine finalement prescrite.
Passé de l’extrême gauche à Berlusconi
En 1994, il retourne en Italie, devient un temps le correspondant du journal, puis travaille pour des journaux, comme Il Foglio, proche alors de Berlusconi. De quoi surprendre. Mais Lanfranco Pace aimait n’en faire qu’à sa tête. «A Rome, quand il se promenait tout le monde le connaissait, de droite comme de gauche», raconte Eric Jozsef, correspondant du journal en Italie. «C’est vrai que son parcours politique a pu être désarmant, passant de l’extrême gauche à Berlusconi. Mais, il s’est rapproché de Berlusconi par colère, je crois, contre les juges et par colère aussi contre les staliniens.»
Il était ainsi, unique. Ses derniers temps, il était bien fatigué et inquiet par un cœur qui lui faisait défaut. Il adorait la télévision. On avait reparlé de lui, l’année dernière, lors de la série à grand succès sur Aldo Moro, Esterno Notte de Marco Bellocchio, où l’on voyait son visage un moment apparaître. «C’était un collègue éblouissant et si charmant», écrit une ancienne rédactrice en chef à Libération. «Lanfranco fut une des figures les plus originales et les plus marquantes de l’histoire de Libération, et bien sûr d’une certaine époque italienne.»